«Je suis heureux! Quelle joie, c'est incroyable. Dimanche 15 octobre, plus de Polonais ont voté contre le pouvoir populiste qu'en 1989 contre le communisme. Je n’arrive pas à y croire.
Je sors à l’instant du train du bonheur. Je suis parti de Varsovie ce matin, j’arrive à Berlin. D’habitude, cela prend cinq heures mais cette fois, les Allemands ont arrêté le convoi à la frontière pour contrôler des migrants. Quel voyage! Tous les passagers, dans tous les wagons, ne parlaient que de l’élection de dimanche. Le conducteur de la locomotive, qui m'a reconnu de mes passages à la télévision, est venu me voir: «Monsieur, enfin! Nous avons gagné! Nous avons gagné!»
Purge chez les journalistes
Les gens ont envie de sourire, partout, tout le temps. C'est fini l’usurpation du pouvoir par les populistes. Et peut-être, avec Donald Tusk comme Premier ministre, aurons-nous une impulsion vers l’Europe au lieu du repli de Jaroslaw Kaczynski.
Dans le train, un autre monsieur est venu me voir. Il avait une cinquantaine d'années. Lui aussi était tellement heureux… «J’étais journaliste dans un média public, il a dit, j'ai été viré en 2016». Quand le parti Droit et Justice (PiS) a obtenu la majorité en 2015, le gouvernement a commencé à virer les journalistes de la presse publique, l’un après l’autre. Cela a été un traumatisme pour lui.
L'effondrement de la France, vue de l’Est
Pour que vous compreniez le contexte, laissez-moi vous raconter: vendredi soir, juste avant le silence électoral du week-end, je me suis forcé à regarder la télévision d’Etat. Il y avait une avalanche de propagande du PiS, bas de plafond comme d'habitude. Il y avait aussi un documentaire sur la France. Figurez-vous que c'était passionnant, le soi-disant effondrement de l’Occident.
Les personnages interviewés, sans indication bien sûr de leur affiliation politique pour les Polonais qui ne les connaissent pas, étaient Robert Ménard, Gilbert Collard, et ainsi de suite. Ça donne une idée de ce qu'il s'est passé en Pologne depuis 2015: le PiS a mis au centre du jeu politique des gens de la marge et de l’extrême-droite, au nom du pluralisme. Vendredi soir, à la télévision polonaise, c'était ça, la vision de l'Est sur l'Ouest.
Une fête inouïe
Alors pour cet homme dans le train, dimanche était le plus beau jour de sa vie. Après avoir été viré, il s’est installé en Allemagne avec sa famille. Maintenant, tout cela est fini, il veut rentrer. Ce voyage entier était délicieux.
Et dimanche soir... parlons-en. Vous n’imaginez pas l’explosion de joie. Un changement d'ambiance radical. Dans ma rédaction, à Kultura Liberalna, on avait organisé une soirée électorale. C’était la fête, une fête inouïe. Les gens pleuraient, dans les bureaux, dans la rue. Ils se rencontraient, ils s’embrassaient, comme s’ils revenaient du pôle Nord.
Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas mille défis. Il y aura des obstacles, les populistes ne vont pas disparaître comme par enchantement. Mais les Polonais ont voté contre eux, la démocratie est enfin de retour. Quel soulagement!»
Jaroslaw Kuisz