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Et si l’Ukraine était en train de nous changer? Et si les nouveaux centres de l’Europe n’étaient plus à Berlin ou Paris, mais à Kyiv et Varsovie? Le monde bouge à l’Est, Kometa vous le raconte.

  • La semaine dernière, vous avez pu lire son récit sur les mémoires entremêlées des Ukrainiens et des Polonais. Aujourd’hui, le grand reporter Witold Szabłowski raconte le formidable apport des réfugiés ukrainiens à son pays, alors que les agriculteurs polonais se soulèvent contre la concurrence de leurs voisins.

  • D’autres exilés, ceux du Haut-Karabagh, traversent la photo de la semaine, par le photographe arménien Alexis Pazoumian. 

  • Et comme toujours, découvrez la recommandation Kometa, un manga polar au cœur de la République fédérale allemande. 

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Pierre et Silouane


Merci, Ukraine

Des femmes portent des drapeaux ukrainien et polonais lors d'une manifestation de solidarité avec l'Ukraine. Cracovie, le 25 janvier 2023 | © Beata Zawrzel/Sipa USA

En Pologne, l’accueil massif des réfugiés ukrainiens apporte un grand dynamisme entrepreneurial et des recettes fiscales, mais provoque aussi la colère des agriculteurs contre le blé du voisin. Dans le 2e numéro de Kometa, l’écrivain Witold Szabłowski signe un récit sur la réconciliation des deux pays. Cette semaine, il nous raconte ce que l’Ukraine apporte à son pays.

Un lieu insolite a récemment ouvert ses portes en bas de mon immeuble à Varsovie. Cela s'appelle «Wesoła Pani» (joyeuse dame). Des femmes ukrainiennes de tous âges y préparent des pierogi ukrainiens, des chaussons farcis à leur façon traditionnelle. Les gens comme moi, qui aiment la cuisine de grand-mère, en apprécient la saveur. J'y vais plusieurs fois par semaine.

J'ai un travail, vous avez des pierogi ukrainiens, je suppose que c'est une bonne affaire?, s'amuse Luba, l'une de ces femmes avec qui je me suis lié d’amitié. Au bout d'un moment, le sourire s’effiloche et Luba sort son mouchoir.

Je viens de Kharkiv, dit-elle. La frontière russe est toute proche, la ville est bombardée tous les jours. Le matin, avant de venir travailler, je regarde combien de bombes sont tombées. En plus, mon petit-fils est au front, je vis beaucoup de choses depuis quelques mois.

Puis, nous revenons aux pierogi ukrainiens.

Jusqu’à récemment, de tels endroits n'existaient pas à Varsovie. Deux ans après l’invasion russe de l'Ukraine, il y en a des centaines. Car les Ukrainiens ne sont pas venus ici pour se tourner les pouces. Dès le premier jour, ils ont pris les choses en main. Ils ont ouvert des restaurants, des cafés, des magasins de fleurs, des salons de toilettage pour chiens, des bureaux de change. Il y a désormais des maisons d'édition ukrainiennes et des chauffeurs de taxis ukrainiens.

[...]

C’est aux agriculteurs polonais que les Ukrainiens ont prêté de mauvaises intentions, lorsque ces derniers ont bloqué la frontière entre nos deux pays à la fin 2023. Il était question de céréales: en vertu d'un accord avec l'Union européenne, l'Ukraine, dans l’impossibilité d’exporter ses céréales hors d'Europe par voie maritime, avait la possibilité de les faire transiter par l’Europe. Sauf que ce n’était pas toujours du transit: la Pologne et d’autres pays ont été inondés de céréales bon marché en provenance d'Ukraine. Des céréales produites en dehors des normes européennes et entrées dans l'UE sans droits de douane, parce que ces céréales étaient supposées quitter l'UE.

Une tonne de blé coûte environ 150 euros en Pologne, alors que le blé ukrainien vaut la moitié. Il n'est donc pas surprenant que les agriculteurs polonais aient commencé à protester. De plus, leur colère s’est jointe à celle d’agriculteurs dans toute l’Europe, révoltés par l'introduction prévue par l'UE de ce qu'on appelle le «Green Deal».

[...]

Compte tenu de l'ampleur de la vague migratoire en provenance de l'Ukraine et des tensions potentielles que l'arrivée soudaine de plus d'un million de personnes pouvait provoquer en Pologne, un pays encore presque entièrement homogène il y a quelques années, Vladimir Poutine doit être déçu par ce qui est en train de se passer.

Depuis des siècles – pour être précis, depuis le soulèvement dit des Khmelnitsky au XVIIe siècle – les dirigeants successifs du Kremlin aiment jouer la Pologne contre l’Ukraine, deux nations très émotives.

Et pourtant, cette fois, rien ne semble pouvoir diviser longuement la Pologne et l'Ukraine. La première continue de montrer la voie en soutenant sa voisine. Toutes deux écrivent un nouveau chapitre de leur histoire commune plutôt que de raviver de vieilles blessures.

Andrzej Seweryn, grand acteur polonais également connu en France, a récemment mis en scène à Varsovie son désormais légendaire Roi Lear. Il est sorti portant un drapeau ukrainien sous les applaudissements. J'ai assisté à cette représentation et j'ai entendu autant de voix en polonais qu'en ukrainien dans le théâtre. J'ai interrogé un jeune couple ukrainien sur le geste de Seweryn:

- J'ai pleuré, a répondu la jeune fille. Nous recevons tellement de soutien de la part des Polonais que parfois, je ne sais pas quoi dire.

- Merci…, a ajouté son compagnon.

Mais c'est nous qui te remercions, Ukraine. C'est grâce à toi que la guerre ne s'est pas encore étendue au reste de l'Europe. Nous nous en souvenons tous les jours, en Pologne.

Le texte complet de Witold Szabłowski est à lire sur notre site.


La photo de la semaine

 «L’Exode» | © Alexis Pazoumian

Le 19 septembre 2023, l’Azerbaïdjan attaque l’enclave arménienne du Haut Karabagh. Une «opération antiterroriste» menée après la mort de quatre soldats azerbaïdjanais, attribuée à des indépendantistes. S’ensuit une guerre de deux jours, qui s’ajoute aux neuf mois de blocus subis par la population. Les bombardements jettent alors près de 100 000 réfugiés arméniens sur les routes.

Arrivé sur place peu de temps après, le photographe et documentariste français Alexis Pazoumian, lui-même d’origine arménienne, capture les derniers exilés sur «le couloir de Latchine», la seule route empruntée par les réfugiés pour fuir la région. Cette image s’éloigne des photographies de guerre habituelles. Ici, pas de sang, pas d’urgence, mais la tranquillité et la bizarrerie de ce couple qui prend son temps pour boire un café au bord de la route. Ils ont pourtant dû tout quitter en emportant le strict nécessaire. Tout n'est pas arrêté: les troupeaux à flanc de colline continuent de paître. Mais tout n’est pas normal, comme ce camion à moitié garé. Au loin, les reliefs somptueux d’une région que les exilés ne reverront peut-être jamais.

Alexis Pazoumian travaille depuis 2016 sur le Caucase du Sud. Réalisateur de Haut-Karabah, deux enfants dans la guerre, diffusé sur Arte en 2020, il prépare un documentaire pour France Télévisions, Jardin Noir, qui retrace quatre ans de vie et de conflits. Son travail se veut un témoignage pour les générations à venir. Car pour lui, «le Haut-Karabakh, berceau de l'âme arménienne, continuera à exister aussi longtemps que nous continuerons à le raconter avec passion et émotion

La série L’Exode d’Alexis Pazoumian est à retrouver dans le 2e numéro de Kometa, «Liaisons dangereuses».


Kometa en V.O.

Nous vous l’avions promis lors de notre lancement, c’est désormais chose faite: le premier récit Kometa en version originale est publié sur notre site. Découvrez «Pardonner les vivants» de Witold Szabłowski en version polonaise.


La recommandation Kometa

Robin Emptaz, notre consultant média, vous fait découvrir Monster de Naoki Urusawa. 

Monster, manga de Naoki Urusawa | © Naoki Urusawa

Monster, la plus grande œuvre de Naoki Urusawa, est un manga polar qui propose une enquête d’une complexité et d’une densité incroyables. L’histoire se déroule en Allemagne de l'Ouest en 1986. Une nuit, le maire de Düsseldorf arrive dans un état critique à l’hôpital où travaille Kenzô Tenma, un jeune neurochirurgien japonais aux compétences hors normes… qui refuse de lui procurer des soins, pour opérer un jeune garçon blessé d'une balle dans la tête. Sans le savoir, il sauve la vie d’un monstre.

Naoki Urusawa a fait plusieurs voyages en Allemagne et en Europe de l’Est pour se documenter avant de réaliser son œuvre. Au-delà de l’éthique de la médecine, son manga revient sur plusieurs questions politiques non résolues dans l’Allemagne des années 1990 (pratiques eugénistes, souvenir des expériences nazies ou de celles menées en RDA communiste). 

Alliant fiction et archives historiques, Monster s’érige aujourd'hui comme un classique du manga. Sur 18 tomes et près de 4000 pages, le mangaka réussit la prouesse de maintenir le lecteur en haleine sans perdre à un seul moment le fil de l’enquête. Naoki Urusawa reste l’un des derniers grands piliers du manga encore vivant, avec des œuvres icôniques comme Pluto (8 tomes, série disponible sur Netflix) ou 20th Century Boys (22 tomes).

Monster, de Noaki Urusawa, éditions Kana. Traduit du japonais par Thibaud Desbief et Prix du manga Shōgakukan 2001.


A lire ce week-end

  • Les bonnes feuilles de Plutopia. Dans ce livre (Actes Sud), l’historienne américaine Kate Brown va à la rencontre des populations contaminées par le site de Mayak, la première usine de plutonium d'URSS. En avant-première, un extrait de cette grande histoire sociale et environnementale de la Guerre froide. 
  • Les balades sonores de Michka Assyas. L’écrivain et chroniqueur tient dans chaque numéro de Kometa une critique musicale. Dans le premier, il se rappelle ses premiers souvenirs de l’Est: un voyage scolaire et une rencontre avec le groupe de métal ukrainien Jinger.

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A propos de Kometa

À l’origine de Kometa, une envie: comprendre le monde en allant voir là où il bouge. On ironise parfois sur ces Américains qui ne savent pas placer Paris ou Bruxelles sur une carte d’Europe, mais l’invasion russe de l'Ukraine a révélé notre méconnaissance d’une partie entière de notre continent.

Tous les trois mois dans une belle revue papier de 208 pages, chaque semaine dans ses newsletters et tous les jours sur son site, Kometa propose des grands récits littéraires, des photos d’auteurs et des débats d'idées pour saisir ce que nous n’avons pas vu se lever à l’Est. En révéler la richesse, les talents et l’incroyable complexité.

L'agenda

18-20 mai

Festival Etonnants Voyageurs, Saint-Malo

Kometa est partenaire du festival Etonnants Voyageurs. Avec notamment l’écrivain ukrainien Artem Chapeye, que vous avez pu lire sur notre site, ou Elitza Gueorguieva, que vous lirez dans le n°3. Vous pouvez d’ores et déjà réserver vos places.


23 mai

Sortie Kometa n°3

Voici, enfin, la date sortie de notre 3e numéro. Plus d'informations à venir...


25-26 mai

Festival Oh les beaux jours !, Marseille

Kometa sera aussi présent au festival Oh les beaux jours ! pour une rencontre avec l’écrivaine Elitza Gueorguieva et l’écrivain Sergueï Shikalov, animée par Pierre Benetti. Programmation plus précise à venir.

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