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Bonjour, je suis l'écrivain et journaliste slovaque Arpád Soltész.

L'année dernière, j'avais mis en garde les Slovaques contre les dangers des élections législatives. Ils ne m'ont pas cru. Le nationaliste Robert Fico a fini par les gagner. Il bâtit aujourd'hui un Etat autoritaire et pro-russe.

Les Français m'écouteront-ils un peu plus?


La Slovaquie, la France et les mini-Poutine

La fête nationale polonaise à Varsovie. Image issue du livre Citizens de Christian Lutz (éditions Patrick Frey, 2021) | © Christian Lutz

A 55 ans, je viens de fêter mes 29 ans de journalisme d'investigation: 29 ans passés à couvrir la pénétration du crime organisé dans les structures de l'Etat slovaque. Mais pendant tout ce temps, je ne me souviens d'aucune enquête qui aurait conduit à améliorer la lutte contre la corruption et l'abus de pouvoir.

Récemment, le gouvernement slovaque a laissé entendre qu’un film tiré de l'un d'entre eux (Le bal des porcs) avait conduit à la tentative d'assassinat de Robert Fico, le 15 mai. C’est une idée absurde, mais ça montre que ma voix de romancier est plus forte que ma voix de journaliste.

Mes livres sont remplis de crimes et de criminels, et pourtant ce ne sont pas des romans policiers à proprement parler. Ils racontent la réalité quotidienne d'un Etat mafieux. Contrairement à ce qu’on croit, un Etat mafieux n'est pas un Etat dirigé par des mafias, mais dont les institutions officielles utilisent des pratiques mafieuses.

La Slovaquie et d'autres pays européens sont des Etats de ce type. Les lecteurs qui vivent dans des circonstances similaires me lisent autrement que le public français. D'ailleurs, mon éditeur serbe a classé mon roman Le bal des porcs dans la catégorie «romans sociaux»: ce que les Français lisent comme un polar n'est qu'une journée ordinaire pour un Slovaque ou un Serbe.

Mes mises en garde contre le parti de Robert Fico, le Smer, m'ont valu d'être traité de «messager fou de l'Apocalypse», y compris par les prodémocrates… alors j’ai préféré partir vivre en République tchèque, un pays où il y a toujours quelque chose à défendre et quelqu'un avec qui se battre.

Mes anciennes prédictions deviennent une réalité indéniable: juste après sa victoire, Robert Fico a commencé à mettre en place un régime autoritaire en Slovaquie. Il s’y est pris par étapes. Mais après la tentative d'assassinat du mois de mai, il va aller plus vite, et plus loin. Avant, je pensais qu'il allait se contenter de transformer le pays en une démocratie illibérale… aujourd’hui, je pense qu'il essaie d'instaurer une forme de dictature. C'est ce qu'indiquent ses projets: restriction au droit de réunion, à l'information... mais aussi, d'ores et déjà, le culte personnel dont il fait l'objet dans son parti.

Que vous dire, à vous les Français, avant vos élections législatives? Mon pays est d’abord préoccupé par sa propre transformation en un État autoritaire. Les élites et les gouvernants regardent la France avec espoir: dirigée par l’extrême droite, elle pourrait devenir un nouvel allié de la Russie, et donc de la Slovaquie, qui n'a aujourd'hui aucun partenaire au sein de l'Union européenne à l'exception de la Hongrie de Viktor Orbán.

Les objectifs et les méthodes de l’extrême droite sont partout les mêmes, seul le décor change. Le territoire de l'actuelle République slovaque était une périphérie arriérée du royaume de Hongrie, qui était lui-même une périphérie arriérée du monde occidental. Le servage y a été aboli en 1785, la servitude en 1848. L'opportunisme lâche du serf est devenu la stratégie de survie de la nation pendant mille ans: ne pas résister au pouvoir, ne pas le combattre. Selon cette logique, mieux vaut être violé que tué. Si nous parvenons à nous convaincre que ce viol est de l'amour, nous conservons notre dignité. Et si le violeur jouit de notre viol, nous lui devenons utiles. Peut-être même qu’il nous nourrira.

L'extrême droite européenne voit dans la Russie son allié naturel, mais c'est une illusion suicidaire. Ses leaders sont fascinés par le régime russe, fondé sur le pouvoir personnel d'un chef qui n'a de comptes à rendre à personne. Ce qu'ils oublient (ou sous-estiment largement), ce sont les ambitions impérialistes du Kremlin [voir le 1er numéro de Kometa]. Lorsque le pouvoir russe dit qu'il veut une frontière naturelle pour son empire qui serait formé par l'océan Atlantique, il est tout à fait sérieux. Dès qu'une opportunité se présentera, il n'hésitera pas à la saisir. Cette fenêtre est en train de s'ouvrir. Si elle parvient à briser l'unité de l'Union européenne et de l'OTAN, la Russie pourrait réussir.

En Slovaquie ou en France, les politiciens d'extrême droite ne sont rien d'autre que les «idiots utiles» du Kremlin: «užitečný idiot» en slovaque. C’est un terme communiste au départ, pour désigner un imbécile qui aide volontairement des intérêts hostiles. Ces mini-Poutine deviendront ses premières victimes. Car ils sont les rivaux naturels du tsar et ont déjà montré leur capacité à s'emparer du pouvoir, à n'importe quel prix. A long terme, ils sont bien plus dangereux pour la Russie que les forces démocratiques, qu'elle considère inoffensives.

La fin de l'Union européenne nous ferait revenir aux intérêts nationaux. Dans le meilleur des cas, cela signifierait un retour aux guerres incessantes. Dans le pire, une paix durable, mais aux conditions de la Rousskiï mir (русский мир), un concept russe qui signifie à la fois la «paix russe» et le «monde russe», définis uniquement par Moscou. Personne en Europe — même les néonazis ! — n'est prêt à vivre selon ces conditions. Avec ou sans les Russes, le succès de l'extrême droite en France et en Allemagne marquerait la fin de huit décennies de paix et de prospérité.

Le cœur est un muscle, peu adapté à la réflexion. Alors, si j’ai un message à vous faire passer, Françaises et Français, avant vos propres élections, ce serait celui-ci: votez avec votre tête, et non avec votre cœur.

Tous les livres d’Arpád Soltész sont publiés en France aux éditions Agullo. Son dernier titre: Colère, traduit du slovaque par Barbora Faure, Agullo, 464 p., 22,50€


Le regard de Kometa

Yepraksia Gevorgyan, 108 ans, devant sa maison à Armavir, Arménie | © Diana Markosian

En 1915, l'Empire ottoman lance une vaste politique de déportations, de meurtres de masse et de viols pour effacer la présence arménienne. À la fin de la Première Guerre mondiale, plus d'un million de personnes ont été éliminées de ce qui est aujourd'hui la Turquie moderne. C'est l'un des premiers génocides du XXe siècle, un génocide que les autorités turques nient encore à ce jour.

Artiste russo-américaine d’origine arménienne née en 1985, Diana Markosian a demandé à trois survivants de décrire les ultimes souvenirs de leur ancienne patrie. Puis elle s’est rendue dans les lieux perdus de leur enfance, qu’ils n’avaient pas vus depuis presque un siècle. Elle leur en a rapporté des images, ils les ont caressées. Comme si elles pouvaient leur ramener les morts et leur foyer.

Lorsque la photographe leur a dit qu'elle allait visiter leurs anciennes maisons en Turquie, chacun des rescapés lui a demandé de réaliser un souhait. Yepraksia Gevorgyan, 108 ans, a demandé de retrouver son frère aîné, dont elle a été séparée après le génocide. Elle-même avait échappé à la mort en traversant une rivière. «L’eau était toute rouge», raconte-t-elle.

Par ce travail au long cours, Diana Markosian n'a pas seulement découvert les histoires des autres, mais aussi de son arrière-grand-père, qui avait échappé aux massacres grâce à la protection d’une famille turque.

Les images de la série «1915» de Diana Markosian accompagnent notre rencontre avec l'écrivaine et sociologue franco-turque Pinar Selek, à lire dans le nouveau numéro de Kometa.


La lecture de Kometa

Silouane Bourel, journaliste web, vous conseille Les gens ordinaires ne portent pas de mitraillettes de l'écrivain ukrainien Artem Chapeye

«Le plus douloureux, ça a été d’être séparé de ma famille. Difficile de dire une telle émotion dans une simple interview. C'est peut-être pour cela que j'ai eu besoin d'écrire un long essai». Voici ce que nous répondait il y a quelques mois l’écrivain et désormais soldat Artem Chapeye, lorsqu’on lui demandait ce qui avait changé dans sa vie deux ans après l’invasion de son pays par la Russie. 

Dans ce «long essai» rédigé sur le front, l'auteur de Loin d’ici, près de nulle part (éditions Bleu et Jaune, 2021) raconte un terrible choix: son engagement dans l’armée le 25 février 2022, et cela, malgré des convictions qu’il pensait inébranlables. Le pacifiste convaincu est devenu un «soldat malgré lui».

Cet ancien journaliste témoigne du renversement des relations intimes engendrées par la guerre: la douleur de la solitude, la séparation familiale, mais aussi les nouvelles amitiés avec d’autres soldats ou la rupture de certaines avec ceux qui ont choisi de fuir le conflit... un livre poignant et important, pour comprendre le devoir de résistance et la transformation des individus, quand l'impossible s'impose.

Artem Chapeye, Les gens ordinaires ne portent pas de mitraillettes. Traduit de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn, Bayard, 128 p., 17€


A propos de Kometa

Née du choc du retour de la guerre sur le continent européen, Kometa raconte le monde partout où il bascule, de l’intérieur, à travers les regards de celles et ceux qui le vivent. La revue fête sa première année et grandit grâce à vous, en passant de 4 à 6 numéros par an en 2025.

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Kometa sera au jeune et vif Festival du livre photographique, à Genève, pour présenter notre 3e numéro et parler de la place de l'image dans la revue. Une conférence à suivre le dimanche 23 juin à 15h, introduite par Danaé Panchaud, directrice du Centre de la photographie

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