«Je viens d'arriver à Varsovie, où ma petite famille s'est installée après le début de l'invasion russe à grande échelle. Je ferai des allers-retours, pour continuer de travailler en Ukraine. La vie est belle, ici. Pour ma part, je me suis trop habitué à la guerre. Je m’en suis rendu compte quand des amis me demandent si j’ai bien dormi, je dis oui et ils m’apprennent que des explosions ont eu lieu toute la nuit dans mon quartier.
Comment je me sens? J’ai peur. J’ai peur que la Russie ne profite de la situation au Proche-Orient. C’est évidemment leur intérêt, que toute l’attention du monde soit portée là-bas pendant qu’ils continuent sans broncher de nous bombarder et de nous tuer. La Russie veut faire durer cette guerre le plus longtemps possible. Elle s'attend à ce que l'Ukraine, avec de moins en moins de soutien, soit facile à battre. Ce matin, la Slovaquie annonce qu'elle cesse son aide militaire à l'Ukraine. Cela me rend tellement triste, ce populisme, cette absence de vision. Vous ne voyez pas le rôle que nous jouons, celui d'arrêter votre véritable ennemi, pour vous garder sains et saufs?
Déjà, je vois que plusieurs journalistes qui couvraient l’Ukraine sont partis en Israël ou dans les pays voisins.
Une erreur colossale
Comme reporter, je suis bien conscient de l’importance de couvrir cette nouvelle guerre entre Israël et le Hamas. On a tous été choqués par ce qui s’est passé le 7 octobre, on recevait chaque minute des informations plus dramatiques, on était scotchés à nos téléphones. Ca m’a rappelé l’époque où l’armée russe était aux portes de Kyiv et commettait des massacres, à Boutcha et ailleurs.
Ce n’est pas la première fois qu’on serait oubliés. Pour nous, Ukrainiens, la guerre a commencé en 2014. A l'époque, peu de journalistes s'intéressaient à notre pays et racontaient notre histoire, ce qui a été une erreur colossale. Je suis sûr que le monde en a tiré la leçon et sait aujourd’hui à quel point c'est crucial de ne pas oublier les crimes commis par notre voisin russe devenu fou.
Le jour de l’attaque du Hamas, le 7 octobre, je revenais à Kyiv après un long reportage dans le sud avec une journaliste hollandaise sur les conséquences de la destruction du barrage de Kakhovka par les Russes [dans la nuit du 6 juin 2023]. Dans la région de Dnipro, les champs sont secs, les habitants n’ont plus d’eau. C’est dingue! C’est un sentiment irréel de marcher au fond du réservoir. C’était un lac immense, on dirait maintenant un désert. En même temps, un peu plus loin, les combats continuent sur la ligne de front, l’armée ukrainienne essaie toujours de percer les lignes russes.
«Vous allez continuer d'en parler, n'est-ce pas?»
A Kyiv, il y a une ambiance de calme avant la tempête. Depuis quelques semaines, les sirènes ne sonnent plus. Il n’y a plus de bombardement. Alors tout le monde s’attend au pire. Les Russes sont peut-être en train de préparer un stock énorme de missiles pour des attaques massives, bientôt. Quand ils envoyaient quelques missiles à la fois, notre système anti-aérien pouvait gérer. Mais s’ils en tirent des dizaines d’un coup…
Dans deux semaines, je vais repartir en Ukraine, pour un reportage dans le nord-est où la guerre continue très fort aussi. Là-bas, il y a Hroza, le village où un missile russe a tué 59 personnes rassemblées pour des funérailles. C’était deux jours avant l’attaque du Hamas. De cela, vous allez continuer de parler, n'est-ce pas?»
Kostyantyn Chernichkin