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Bonjour, c'est Kometa. Voilà que se terminent nos séries de l'été... mais voici deux bonnes nouvelles pour la rentrée. Notre 4e numéro vous attend en librairie jeudi prochain et il est déjà disponible en pré-commande. On s'y demande: «Qui aime encore les Etats-Unis?»

  • Parce qu'il parie sur l'avenir de l'Ukraine et qu’il aime ce pays, notre directeur de la publication, Serge Michel, a acheté un petit appartement à Mykolaïv, une ville située sur la mer Noire. Sur place, les surprises se multiplient... voici le 6e et dernier épisode de «Viens chez moi, j'habite en Ukraine».

  • L'art de la photographie fait réapparaître ce qui a déjà disparu. En une image, six artistes racontent un moment, un lieu, une personne, un objet que la photographie leur permet de retrouver: c'est «Ce qui nous manque». Aujourd'hui, la photographe russe Elena Chernyshova célèbre les choix d'une femme qui vit en patins sur le lac Baïkal.

Les 2 séries sont à retrouver en intégralité ici. Et dès la semaine prochaine, Kometa vous raconte de nouvelles histoires. Pour les recevoir, il suffit de s'inscrire. Si vous aimez, n'hésitez pas à partager!


La réunion ratée des copropriétaires

Viens chez moi, j'habite en Ukraine (6/6)
Deux icônes sur le mur de mon futur appartement, que Raïssa, la vendeuse, ne va pas tarder à décrocher pour les emmener au Kazakhstan. | SM

Raïssa a mis les petits plats dans les grands. Sur la table, il y a des carrés de melon et de pastèque, trois saucissons différents et des canapés au fromage fumé. Pour ma part, j’ai apporté du vin rouge ukrainien mi-sec, de la bière et un peu de vodka locale. C’est à la fois nos adieux et une réunion de copropriété: nous attendons, pour commencer le festin, l’arrivée des deux voisines. 

Irina, dont l’appartement est imbriqué dans celui qui sera bientôt le mien, termine dans dix minutes son travail à l’échoppe de fruits et de légumes du coin de la rue. Lioudmila, porte de gauche sur le palier et comptable à la retraite, est la probable propriétaire des quatre chiens bruyants de la cour. Elle est en tout cas la seule à les nourrir.

Dans le séjour, au pied de la bibliothèque vitrée, de grands sacs débordent de livres et d’habits. Raïssa a donné l’aquarium et le canapé à une amie. Dès qu’on aura signé la vente de l’appartement, elle se mettra en route, un long voyage en bus qui passe par Minsk, au Belarus, puis Moscou. De là, elle compte prendre un train pour Almaty, au Kazakhstan, où sa fille tient un salon de beauté. Raïssa est un peu inquiète: son passeport ukrainien va lui valoir un interrogatoire serré dans le camp de filtration que les Russes ont installé à la frontière.

Le temps passe. Elle soupire et me tend une assiette. Commençons, les voisines ont presque une heure de retard. Toutes deux ont hésité à accepter l’invitation: Irina parce qu’elle est souvent un peu bourrée, le soir, quand elle rentre du marché, et Lioudmila parce qu’elle craint que je lui parle des chiens qui, hier encore, ont mordu les mollets de l’employé venu rétablir le wifi. Mais enfin, elles ont dit oui.

A la lumière d’une bougie, car l’électricité vient d’être coupée en raison des bombardements russes dans la région, on porte un premier toast, à nos projets. Raïssa va revoir ses petits-enfants après 5 ans de séparation. Sa fille reprend des études pour devenir infirmière et compte sur elle pour tenir la maison. Quant à moi, je compte venir ici une ou deux fois par an, pour travailler et réfléchir.

J’en profite pour la faire parler de sa vie. Elle est née à Mykolaïv d’un père cuisinier à la cantine d’une usine locale de métallurgie et d’une mère employée de cafétéria dans la même usine. Une famille russophone, comme 80% des habitants de la région. Raïssa a commencé à la fin des années 1970 comme cuisinière dans les trains, au sein d’une compagnie d’Etat qui organisait des voyages dans toute l’Union soviétique pour les ouvriers méritants. Les convois étaient immenses, ils comptaient chacun jusqu’à trois wagons restaurants, et faisaient des tours gigantesques, en passant par Samara (Kouïbychev à l’époque soviétique), Ekaterinbourg (Sverdlovsk), Moscou, Saint-Petersbourg (Leningrad), Tallin et retour. C’est dans ces trains qu’elle a rencontré Boris, «un bon mari», insiste-t-elle, né à Vladivostok, qui dirigeait la restauration à bord. A l’effondrement de l’URSS, leur métier les a sauvés. Dans sa petite cuisine de l’autre côté de l’entrée, Raïssa préparait chaque jour une cinquantaine de repas que Boris allait à pied vendre aux fonctionnaires du nouvel Etat ukrainien indépendant, lesquels ne bénéficiaient plus de cantines soviétiques bien organisées. 

On entend du bruit chez Irina. Mais pas un bruit de nature à indiquer qu’elle se dirige vers nous. On a déjà frappé à lamporte de Lioudmila, qui semble faire semblant d’être absente. Il fait déjà nuit noire. On leur envoie à chacune un SMS qui se veut cordial et accueillant. Je propose que le deuxième toast soit pour ces deux pièces, où Raïssa s’est installée au début des années 1990 avec sa mère, sa fille, une tante et son mari. La transaction a été compliquée. A l’époque, il n’y avait pas de marché immobilier et aucun logement vacant. Il fallait échanger les appartements, et donc proposer à la personne dont on convoitait les murs un logement de remplacement, lequel devait être négocié dans les mêmes circonstances avec une autre famille. Il arrivait que ces opérations de troc impliquent une chaîne d’une demi-douzaine de parties prenantes et durent des années. Tout compte fait, je m’en sors pas si mal.

Une heure passe. On évoque les obstacles bureaucratiques à l’achat de l’appartement: il me faut trouver une personne de confiance pour signer à ma place, les documents de Raïssa ne seront pas en règle avant mon départ. Les chiens aboient dans la cour, les pneus d’une voiture crissent dans la rue. Raïssa dit qu’une rumeur, dans le quartier, veut que notre maison ait servi de bureau de la Gestapo pendant l’occupation de la ville par les nazis, de 1941 à 1944. Zut, c’est pas glorieux. Et d’ailleurs, le frère aîné de son mari, partisan, membre de la Résistance, a été fusillé par les Allemands en 1942 sur la grand'place de Mykolaïv.

A la bibliothèque municipale, je n’ai rien trouvé sur cette histoire de Gestapo ni sur notre adresse précise. En revanche, deux choses intéressantes sur les environs. D’abord, le parc que l’on aperçoit par la fenêtre s’appelait, à la fin du 19e siècle, «jardin de la sobriété». Il y avait là des attractions gratuites pour les ouvriers qui renonçaient à la boisson, un enjeu crucial pour la productivité des chantiers navals. Quand les bolchéviques sont arrivés au pouvoir, le parc a pris un nom révolutionnaire et la vodka s’est remise à couler à flots dans le quartier.

Et aussi, Lev Davidovitch Bronstein, dit Léon Trotsky, a vécu à 500 mètres de nous. C’était en 1896, il avait 17 ans. Ses parents, de Kherson, l’avaient logé là dans une bonne famille de la rue Potemkine, pour qu’il étudie. Au lieu de cela, il a fugué, découvert le marxisme, distribué ses premiers tracts et mobilisé les ouvriers de Mykolaïv, qui lui ont fait son éducation politique. Il sera arrêté par la police du tsar et connaîtra les sombres cellules de la prison de la ville, avant d’être transféré à Kherson puis Odessa. Tout cela figure dans sa biographie, Ma vie, disponible gratuitement sur le site des archives marxistes.

Le troisième toast est pour la paix. Raïssa soupire. Si vraiment la paix arrive un jour, elle reviendra peut-être du Kazakhstan pour voir ses amies de Mykolaïv. L’heure du couvre-feu approche, il me faut regagner rapidement mon studio, à quelques rues de là. Raïssa me fourgue les restes de saucisse et de fromage dans un sac en plastique. «Tu vois ces Ukrainiennes, dit-elle sur le pas de la porte, en parlant de ses voisines. Elles se croient européennes, elles veulent rejoindre l’Europe, tralala, et quand un Européen vient s’installer sur leur palier, elles se cachent et le prennent pour un espion.»

Fin du récit de Serge Michel. Vous pouvez le retrouver en intégralité ici et sur le site de Kometa


Kometa n°4...

Disponible en librairie le 5 septembre et dès maintenant en précommande sur notre site.

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Les patins de Baba Liouba

Ce qui nous manque (6/6)
Lac Baïkal, 2021 | © Elena Chernyshova

J’ai rencontré Lioubov Nikolaevna en 2021 pendant un reportage que je menais sur la relation entre la nature fragile du lac Baïkal et les gens qui l'environnent. Nous avions entendu parler de cette femme fantastique et avons décidé d'aller la voir. Sa maison était bien trop loin pour être atteinte par voie terrestre. En passant par le lac, notre voiture risquait d'être bloquée par les hummocks, ces amas de fragments de glace qui se logent dans les fissures de la surface du lac.

Pendant environ deux heures, nous sommes donc partis à pied à travers la beauté magique du Baïkal et de sa symphonie glaciaire. En cours de route, nous avons aperçu une silhouette glissante à l'horizon. Elle s'approchait à grande vitesse et c'est à cet instant que j'ai décidé de la prendre en photo. Lyubov Nikolaevna venait à notre rencontre pour nous montrer le chemin à suivre jusqu’à sa maison. Elle nous avait aperçus depuis sa fenêtre et s'était rendu compte que nous nous étions égarés.

A 80 ans, Lioubov Nikolaevna, connue sous le nom de Baba Liouba, vit seule dans cette région isolée. Elle s’occupe d’une petite ferme, avec des vaches et des poulets. L'électricité y a été installée il y a seulement dix ans. Il n'y pas d'eau courante et elle doit donc transporter des seaux depuis le lac jusqu'à sa maison. Et presque tous les jours en hiver, elle parcourt dix kilomètres en patins pour retrouver ses vaches qui paissent le long du lac.

Malgré le manque de confort, c’est là que Baba Liouba a décidé de vivre, et non dans un appartement en ville. Après des études supérieures à Irkoutsk, elle a travaillé pendant plus de 40 ans comme ingénieure dans la plus grande usine de construction de machine de la région. A la retraite, elle a décidé de retourner vivre dans cet espace sauvage qui l'a vue grandir, au bord de son lac Baïkal bien-aimé.

Toute sa vie, le patin a été son plaisir. Son père lui a appris à patiner quand elle avait quatre ans et c’est en patins qu’elle se rendait à l'école, dans le village voisin. Alors que le champion du monde de patinage Evgeni Plushenko lui a offert des patins professionnels tout neufs, elle continue de préférer ses vieux patins attachés à des bottes de laine: ils tiennent chaud, même à -40.

En russe, son nom, Lyubov, signifie «Amour». Cette femme est devenue pour moi un symbole de liberté, de gentillesse, d'humanité et de proximité avec la nature. Tout cela me manque dans la réalité d’aujourd’hui, remplie de violence, de haine, de peur, où règne le manque de liberté. Comme photographe, je ne peux plus montrer ce genre de personnes, ni célébrer la beauté, ni vivre l’aventure. La guerre nous a enlevé tout cela et nous force à nous concentrer sur les aspects les plus sombres des individus.

Baba Liouba n'est pas connue au-delà du lac Baïkal. Mais quand je pense à elle, je ressens la liberté du vent et des grands espaces. Elle est comme l'âme du lac à mes yeux.

C'est la fin de notre série d'été. Retrouvez tous les épisodes ici.


Perception des États-Unis, regard sur les élections présidentielles à venir... à partir de la semaine prochaine, «A l'est du nouveau» offre un espace d'écriture pour les auteurs et photographes présents dans ce numéro 4. La semaine prochaine, l'écrivain palestinien Karim Kattan.


A propos de Kometa

Née du choc du retour de la guerre sur le continent européen, Kometa raconte le monde partout où il bascule, de l’intérieur, à travers les regards de celles et ceux qui le vivent. La revue fête sa première année et grandit grâce à vous, en passant de 4 à 6 numéros par an en 2025.

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L'agenda

30 août - 1er septembre

Festival Le livre sur les quais, Morges

Comme l'an dernier, Kometa est partenaire de cette importante rencontre littéraire suisse. Serge Michel, notre directeur de la publication, animera plusieurs débats dont «Écrire la guerre» samedi 31 août à 15h30, avec les scénaristes et écrivains Joël Egloff et Olivier Norek.


5 septembre

Sortie de Kometa n°4

L'été n'est pas encore terminé, mais votre revue est prête à faire sa rentrée avec un nouveau numéro, et une question: «Qui aime encore les Etats-Unis?» De l'Ouzbekistan à la Bulgarie, de la Syrie au Bélarus, de la guerre froide à la guerre en Ukraine, Kometa explore le mythe et les ambiguïtés de la puissance américaine, à travers les voix d’autrices et d’auteurs de pays en pleine transformation. Disponible en pré-commande et sur abonnement.


6 septembre, 18h

Elitza Gueorguieva et Karim Kattan à Lille

Haydée Sabéran, rédactrice en chef adjointe, présente le nouveau numéro en compagnie des deux auteurs au Bazaar St So.


7 septembre

Kometa au festival Visa pour l'Image, Perpignan

Le Festival International du Photojournalisme projettera une interview de Paolo Woods, directeur de la photographie à Kometa.


12 septembre, 19h

Kometa n°4, soirée de lancement

L’équipe de Kometa et les auteurs de «Qui aime encore les Etats-Unis?» vous dévoileront les coulisses de la fabrication de ce numéro. Réservation recommandée.


28 septembre, 15h

Hélène Gaudy et György Dragoman à Manosque

Entre Paris et Budapest, les deux écrivains ont échangé des lettres pour le nouveau numéro de Kometa. Ils se rencontrent pour la première fois aux Correspondances de Manosque, au cours d'un dialogue animé par Pierre Benetti.

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