Ils portent le même prénom. L'un a dénoncé la corruption, l'autre la guerre en Ukraine. Pour cela, tous les deux ont été condamnés par la justice russe et emprisonnés dans la sinistre colonie pénitentiaire de Pokrov, à 250 km à l'est de Moscou.
Cette semaine, après un long moment de silence et d'inquiétude, leurs avocats et leurs proches ont enfin reçu quelques nouvelles: Alexeï Navalny et Alexeï Gorinov sont vivants, mais leur situation carcérale évolue.
Navalny, 47 ans, condamné à 19 ans de prison pour «extrémisme», a déclaré sur les réseaux sociaux: «Je vais bien [...] Ne vous en faites pas pour moi». Il a précisé qu'il était «soulagé d'être enfin arrivé» après un long et rude voyage de vingt jours. Il vient d'être transféré dans la colonie pénitentiaire de Kharp, en Iamalo-Nénétsie, une région reculée de l'Arctique russe, qui s'étend au-delà du cercle polaire. Il ne pouvait jusque-là contacter personne.
Âgé de 61 ans, Gorinov est moins célèbre que Navalny, mais lui aussi subit la dureté du système répressif et carcéral de Poutine. Cet avocat, élu municipal de Moscou, le raconte dans ses lettres adressées à Kometa. Des textes que nous vous transmettons grâce à notre correspondant, le journaliste exilé Filipp Dzyadko. Vous avez pu en découvrir un extrait dans notre premier numéro.
La semaine dernière, nous avons publié en intégralité la première lettre d'Alexeï Gorinov. Un texte écrit sur ses genoux dans une cellule surpeuplée, qu'il nous a fait parvenir au printemps dernier. Il y raconte les raisons de sa condamnation à presque sept ans de prison ferme. Lors d'une séance du conseil municipal, le 15 mars 2022, il avait qualifié la situation en Ukraine de «guerre», mot interdit par Poutine. Il dit aussi sa surprise devant son arrestation: «Si j'avais su à l'avance que mon bref discours allait prendre cette dimension disproportionnée [...] j'aurai parlé avec plus de verves, pour un public plus nombreux».
Dans sa deuxième lettre publiée ce mardi, le prisonnier revient sur l'histoire de sa famille et sur sa jeunesse en URSS. Racontant sa découverte de la dissidence, il décrit l'émergence de la Russie contemporaine sur les ruines des Républiques socialistes. Il revient aussi sur son métier d'avocat, sur sa pratique politique et son propre itinéraire vers l'engagement pour les libertés démocratiques.
Mais depuis ces premiers textes, nous avions peu de nouvelles de Gorinov et son état s'est aggravé. Ce matin, Filipp Dzyadko fait le point sur sa situation. Le prisonnier a été placé en cellule spéciale, «un sac de pierre froid d'une superficie de 5,5 mètres carrés, où la lumière du soleil ne pénètre pas». Des méthodes régulièrement utilisées dans la Russie de Poutine pour «casser» les opposants. Ce supplice a duré 48 jours d’affilée, alors que Gorinov souffre d’une maladie pulmonaire chronique. Lors d'une visite de son avocat, le 8 décembre, il était «dans un très mauvais état de santé» et n’avait plus la force «de se tenir sur une chaise et de parler». Une semaine plus tard, ses proches et ses avocats ne savaient ni où il se trouvait, ni comment il allait.
Le 21 décembre, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies pour les droits humains en Russie, Mariana Katzarova, s’est inquiétée de cette disparition: «La disparition forcée et la détention au secret d'Alexeï Gorinov, qui s'apparente à de la torture et à des mauvais traitements, l'exposent à un risque de nouvelles violations des droits de l'homme, y compris la perte de sa vie». Mais le 25 décembre, auprès de Filipp Dyadko, un de ses avocats a confirmé qu'Alexeï Gorinov était hospitalisé dans la colonie pénitentiaire de Pokrov. Il lui a rendu visite et selon lui, le prisonnier «semble nettement revigoré».
À découvrir en début de semaine prochaine, deux nouvelles lettres d'Alexeï Gorinov, rédigées et transmises peu de temps avant son hospitalisation. Privé de parloir mais aussi de colis, le prisonnier raconte son transfert en cellule d'isolement, ses conditions de détention et ses méthodes pour passer le temps. Avec une ironie qui résonne comme une forme d'espoir.