Pas de chance, je suis née avec le trac. Mais bon, il y a un moment où cela n'a plus d'importance. C'est sur cette pensée que j'entame les 200 kilomètres qui séparent la maison de mes parents à Pécs, de la capitale, Budapest. Aujourd’hui, 23 octobre 2022, je slame devant la foule. En 1956, à cette date, les étudiants hongrois démarraient une insurrection pour expulser les troupes russes.
La révolution a échoué, mais nous sommes 80.000 avec la même ferveur, révoltés par la ruine du système éducatif, le licenciement des professeurs grévistes, le conservatisme des programmes scolaires, le manque de démocratie sous la présidence de Viktor Orbán.
À l’instant où je monte sur scène, mon trac s’envole. La foule est si grande que je n’en vois pas le bout. Je peux presque sentir la tension et la colère dans l'air. Je dénonce l’homophobie, la propagande, l’influence de Poutine sur Orbán. Et surtout, je parle de nous, la jeunesse: «Que tu le croies ou pas, nous sommes le présent, ainsi que le putain d'avenir.»
Je sais que je risque des représailles, que je ne suis pas prête pour ça. Mais jamais dans ma vie je n’ai parlé avec une telle assurance. Je descends de scène, impossible de me frayer un chemin. Les gens m'arrêtent, me prennent dans leurs bras, me félicitent.
Faire entendre une autre voix hongroise
Les jours suivants, on me traite de traîtresse et de dévergondée sur Internet. Puis on me fait comprendre par des pressions subtiles que je dois quitter mon lycée de Pécs. Selon le proviseur, tous les enseignants, sauf un, estiment que je ne suis plus la bienvenue. Avec mes parents, on se dit que ce harcèlement moral met en péril mes études.
À Budapest, dans un nouveau lycée, ma nouvelle vie commence un mois plus tard, entre le slam, les cours, l’activisme et des passages dans quelques télés et radios indépendantes. Le soir, quand je suis seule et que le monde ralentit un peu, je pense à mes amis de Pécs. C’est dur sans eux.
Alors quand l’équipe de Kometa me contacte pour me demander d’écrire mon journal de toute une année, je dis oui. Le jour où je serai prête, elle le publiera, pour faire entendre une autre voix hongroise, contre la propagande, l’homophobie, la dictature. Et pour ce putain d’avenir.
Lili Pankotai