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Bonjour, c'est Kometa. Nos 2 séries de l'été commencent aujourd'hui. En 6 épisodes, jusqu'au 29 août, découvrez le récit «Viens chez moi, j'habite en Ukraine», et «Ce qui nous manque», une série en images par les plus grands photographes de l'Est.

  • Parce qu'il parie sur l'avenir de l'Ukraine et qu’il aime ce pays, notre directeur de la publication, Serge Michel, a acheté un petit appartement à Mykolaïv, ville située sur la mer Noire entre Kherson et Odessa. Mais une fois sur place pour signer l'achat et repeindre les murs, les surprises se multiplient.

  • L'art de la photographie fait réapparaître ce qui a déjà disparu. En une image, 6 artistes racontent un moment, un lieu, une personne, un objet que la photographie leur permet de retrouver: autant de voyages à travers la mémoire et les mondes de l'Est. Pour commencer, le photographe hongrois Szabolcs Barakonyi se souvient d'un bref moment où ses liens familiaux se réparèrent.

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Un appart sur Google Maps

Viens chez moi, j'habite en Ukraine (1/6)
Cadeau d'un homme d'affaires de Mykolaïv à sa ville près de l'avenue centrale, anciennement avenue Lenine (juillet 2024) | © Serge Michel

«T’es cinglé?», «Taré!» «Ça va pas la tête?». A Genève ou à Paris, mes proches et mes amis ont manqué d’enthousiasme lorsque je leur ai annoncé que j’allais acheter un appartement au sud de l’Ukraine, à 67 km du front. J’espérais donc, en arrivant sur place, davantage de compréhension, une certaine reconnaissance pour ma confiance dans l’avenir du pays, voire un accueil en fanfare après avoir dévalé dans un minibus à moitié vide la route menant de l’aéroport de Chisinau, en Moldavie, à Odessa, puis longé la mer Noire entre les champs immenses de tournesols rendus fluorescents par le soleil couchant. L’objectif? Signer l’achat chez le notaire, recruter des ouvriers pour repeindre les murs, faire peut-être un peu de plomberie.

J’ai traversé la cour poursuivi par quatre chiens grondant, les crocs dehors, scandalisés par ma présence. J’ai grimpé l’escalier sombre et frappé à la porte de Raïssa. Cet appartement devrait bientôt être le mien.

Raïssa, c’est la dame âgée que nous avions accueillie à la maison durant deux ans, comme réfugiée, dès le début de la guerre. Cuisinière de cantine scolaire à la retraite, elle a survécu à l’effondrement de l’Union soviétique en vendant du bortch, des varenyky (sorte de raviolis volumineux) et des kotletis (boulettes de viande) aux employés de bureau avec son mari, lequel est mort d’un cancer il y a une quinzaine d’années. Elle était rentrée à Mykolaïv au début de l’été, pour mettre de l’ordre dans ses affaires et préparer la vente. Sur son visage, il y avait le soulagement de me voir bien arrivé, mais aussi une ombre inquiète.

— Je vous ai pris un rendez-vous demain à l’hôpital avec un médecin, a-t-elle commencé.

— Mais.. pourquoi? Je suis en bonne santé!

— On sait jamais, avec le voyage, et peut-être pour la tête…

Raïssa, elle aussi, se demande si je n’ai pas perdu la raison. Mais surtout, elle craint que je change d’avis, si bien que ma découverte de l’appartement est teintée d’un certain embarras.

— La douche ne marche plus, mais ça doit être facile à réparer. Et la fenêtre de la salle de bain, vous demanderez à vos ouvriers de la remettre droite. Mais les plafonds hauts, ça vous plait, non?

En fait de salle de bain, c’est une sorte de prolongement de la cuisine étroite et verdâtre, séparé par une porte qui ne coulisse plus. 

J’ai acheté cet appartement sur Google Maps. L’hiver dernier, quand elle était encore chez nous à Genève, Raïssa m’a dit qu’elle devait rentrer d’urgence en Ukraine pour vendre son F2. Son plan, c’était de rejoindre ensuite sa fille et ses petits-enfants au Kazakhstan. L’acheteur était pressé. Sa maison de Kherson avait été détruite par une bombe russe à fragmentation, il avait touché l’allocation de relogement du gouvernement et voulait s’installer rapidement à Mykolaïv, à mi-chemin d’Odessa. C’est plus calme, les missiles russes y sont moins fréquents et la distance permet de continuer d’aller chaque jour à son bureau, à Kherson. Sauf que cela tombait au moment où Raïssa devait renouveler son permis de séjour à la préfecture.

— C’est quoi, l’adresse? je lui ai demandé.

Je ne vais pas l’indiquer ici — mieux vaut protéger mes premiers pas dans l’immobilier des troupes russes, qui cherchent peut-être de nouvelles idées pour ajuster leurs missiles. Mais disons que les images apparues sur mon téléphone étaient charmantes: une alignée de maisons à deux étages construites au milieu du XXe siècle, derrière une rangée de platanes, en bordure d’un parc planté d’une statue d’un grand poète. Le quartier, érigé à l’époque de la Russie impériale, était proche de l’embouchure d’une rivière dans l’estuaire d’un fleuve se jetant, plus bas, dans la mer Noire. L’appartement était au 2e, avec un petit balcon. J’ai demandé le prix. Il était… très modeste.

— Je vous l’achète. On ira signer ensemble cet été, pendant les vacances. Comme ça, vous pouvez renouveler votre permis.

Raïssa était stupéfaite. Elle a tenté de me dissuader en évoquant les chiens insupportables de la voisine et une histoire de pallier partagé avec une autre voisine. Elle a dit qu’elle était très reconnaissante pour notre accueil mais que son appartement n’était pas du tout aussi joli que le nôtre.

— Pas de problème, j’ai dit avec le sourire bête de ceux qui pensent faire le bien. Je ferai des travaux.

Le soir, au dîner, ma femme aussi était stupéfaite.

— Depuis le temps que je te promets une résidence secondaire…, ai-je tenté de me justifier. Bon, c’est pas la Provence mais à tous les coups, ça prendra de la valeur! Un pays qui résiste à l’armée russe, c’est forcément un pays d’avenir, non?

Si au moins j’avais demandé le plan du F2, j’aurais compris que ce n’était pas le pallier qui était partagé, mais bien l’entrée de l’appartement elle-même. En allant du séjour à la cuisine, on croise une certaine Irina, vendeuse de fruits et légumes sur un marché, qui rentre ou qui sort de chez elle. Jusque-là, tout allait bien. La nuit était tombée. J’ai marché jusqu’à l’appartement que j’avais loué pas loin, en attendant de pouvoir intégrer le mien. Je me suis mis au lit avec la ferme intention de lire tous les articles sur Mykolaïv que j’avais mis de côté depuis des mois. Deux minutes plus tard, le courant était coupé. Le temps de chercher ma lampe frontale au fond du sac, des sirènes lugubres se sont mises à hurler et je me suis rendu compte que j’avais oublié de demander à la propriétaire où était l’abri le plus proche.

Le récit de Serge Michel continue jeudi prochain dans votre boîte mail. A suivre, l’épisode 2: «Du bienfait des vacances et des apostilles»


Quand tout était réparé

Ce qui nous manque (1/6)
Tébánya, 2006 | ©  Szabolcs Barakonyi

Les jeunes de Tatabánya appellent leur ville «Tébánya». À première vue, elle pourrait se trouver n’importe où, quelque part en Europe de l’Est, dans une ancienne ville industrielle socialiste. On pourrait bien sûr détailler son histoire, mais là n’est pas l’essentiel: l’Histoire l’a traitée avec autant d’indifférence que n’importe quelle autre.

Dans ma série «Tébánya/Mine-T» (2006-2007), je montre des adolescents qui avaient alors à peu près le même âge que la Hongrie postcommuniste. Ils venaient de finir le lycée. Ils attendaient la fin de l'été, le dernier avant leur entrée dans l'âge adulte.

Je suis heureux que ce travail, qui a pris fin il y a plus de 15 ans, refasse surface aujourd’hui. Mais j’ai rarement évoqué l’un de ses aspects essentiels. Ce qui m'intéresse le plus dans mon métier, c’est certes de repousser toujours d’un cran les limites de la photographie. Mais je dois dire que la photographie me sert aussi d’auto-thérapie. Cette série a ces deux dimensions, mais j’ai passé la deuxième sous silence.

Enfant, je jouais souvent à me demander: «et si j’étais né dans la peau d’un autre? si j'avais été tel ami, tel enfant du voisin? l’un de mes frères, l’une de mes sœurs?» J’ai choisi Tatabánya parce que c’est là que vivaient mes deux demi-frères, issus du deuxième mariage de mon père. Nous n’étions plus en contact depuis longtemps, et je trouvais étrange que nous ne sachions rien les uns des autres. En allant là-bas, j’ai pu vivre un peu de leur vie. Pas leur enfance, juste leur présent, la fin de leur adolescence. J’ai passé deux étés avec leurs amis, je me suis lié à eux. C’est l’un d’eux que vous pouvez voir skater sur cette image.

Mon père venait de divorcer pour la deuxième fois et suite à son mariage en ruine, il n’avait gardé aucun contact avec mes demi-frères et demi-sœurs. Cela me dérangeait un peu, et lui trouvait embarrassant que je m’y intéresse. Comme il est mort il y a cinq ans, je ne risque plus de le déranger si j’en parle.

Avec le recul, je me rends compte que ces vacances et le travail qui les a accompagnées nous servaient de thérapie familiale. Pendant une brève période, ma famille s’est réunie, tout le monde s’est mis à se reparler, chacun était curieux de la vie des autres. Et puis, tout a disparu comme c’était venu. Malgré tout, une sorte d’émotion s'est reconstituée en moi. Cela n’a pas été le cas pour les autres membres de ma famille, mais même si cette période a signifié quelque chose de différent pour chacun, nous avons réussi, au moins pendant un temps, à réparer nos liens.

Traduit du hongrois par Marc Martin

Pour le 2e numéro de Kometa, Szabolcs Barakonyi a photographié le quotidien de Lili Pankotai, militante anti-Orbán.

«Ce qui nous manque» continue la semaine prochaine avec la photographe bélarusse Tatsiana Tkachova, qui revient dans sa maison d'enfance.


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