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Bonjour, c'est Kometa, avec cette semaine une question provocatrice et, disons-le, naïve. Vous verrez, elle n'a pas fait rire le grand philosophe ukrainien Konstantin Sigov.

La Crimée, annexée par la Russie, but de guerre en Ukraine, a pourtant été, ces trois derniers millénaires, le territoire de dizaines d'autres peuples, dont les Mongols de la Horde d'Or.

L'auteur britannique Anthony Sattin signe justement un livre formidable sur les peuples nomades. Nous en publions de bonnes feuilles: le siège d'un comptoir génois en Crimée par les Mongols, qui va répandre la peste noire et dépeupler l'Europe.

La Mongolie? Kometa, qui regarde vers l'Est, ne peut pas rater cette jeune démocratie coincée entre l’Ours et le Dragon. Entretien avec le chercheur Antoine Maire, spécialiste du pays.

Comme chaque jeudi, notre newsletter «A l’est du nouveau» vous propose une photo de la semaine. Aujourd'hui, le Hollandais Roger Cremers à Auschwitz. Vous aurez aussi la recommandation d’un membre de notre équipe. Ce sera Odyssée des filles de l’Est, le livre de la drôle et émouvante Elitza Gueorguieva.

Et aussi... Nous avons bouclé cette semaine notre 3e numéro, qui part bientôt à l'imprimerie. Abonnez-vous pour le recevoir chez vous!

Serge et Silouane


Et si l’on rendait la Crimée aux Mongols?

Des soldats de l'armée mongole montés sur des chevaux se déplacent en uniforme de cérémonie à Oulan-Bator, 21 mai 2023 | © AP Photo/Manish Swarup

A l’origine de cette édition de la newsletter de Kometa, il y a une question dont il faut bien dire qu’elle était naïve. Voilà comment cela s’est passé. 

Nous étions, en mars, invités à l’étape polonaise du cycle de conférences de l’Institut français «Face à la guerre – dialogues européens». Les débats ont été passionnants. L’un d’eux portait sur la frontière orientale dans l’imaginaire européen. Les approches historiques variaient, mais pour l’avenir, tout le monde était d’accord (il faut dire qu’il n’y avait pas de Russe dans la salle): la Russie doit se retirer aux frontières de 1991, celles reconnues à l’éclatement de l’Union soviétique. Ce qui reviendrait à rendre la Crimée à l’Ukraine.

Sujet tabou

L’Occident répète que la Russie ne doit pas gagner cette guerre et qu’il soutiendra l’Ukraine aussi longtemps que nécessaire (sans être pour l'instant à la hauteur de la situation). Mais est-il prêt à soutenir Kyiv pour reprendre la Crimée par les armes? Le sujet est tabou, les positions plus hésitantes. 

Le philosophe ukrainien Konstantin Sigov, lui, n’hésite pas. Pour celui qui dirige à Kyiv le Centre des études européennes de l’Université Mohyla et qui a publié en ukrainien de grands penseurs comme Montaigne, Descartes, Ricœur ou Levinas, ce retour aux frontières de 1991 est fondamental. De passage à Varsovie pour l'Institut français, il rappelle la plaisanterie néo-impériale de Poutine: «la Russie n’a pas de frontières», que reprennent désormais les chansons pop de la télé russe. Sigov estime que si la Russie poutinienne viole des frontières géographiques en annexant des territoires par la guerre, c’est parce qu’elle méprise aussi les frontières éthiques et humaines. «Le mot-clé des discours officiels, dit-il, c’est “bezpredel”, littéralement “sans limite”. C’est un terme issu de la pègre, qui signifie qu’aucune loi ne compte. On peut tout faire: mentir, violer, tuer, massacrer. L’Occident n’a pas encore saisi la nature criminelle du pouvoir russe.»

Pris à froid

Nous lui avons donc posé la question naïve qui fait le titre de cette newsletter, formulée un peu différemment: 

Au vu de l’histoire de la Crimée, qui a vu en trois millénaires tant de peuples s’y succéder ou s’y côtoyer (voir le résumé ci-dessous), l'Ukraine ne devrait-elle pas envisager pour la péninsule un statut international? Reprendre le territoire, pour le partager? Ne serait-ce pas pour l’Ukraine une manière élégante d’internationaliser le conflit et de sortir du nationalisme qui lui est parfois reproché?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Konstantin Sigov, auteur de Philosopher sous les bombes (PUF, 2023) ou du Courage de l’Ukraine (Cerf, 2023), a été pris à froid. 

Danger réel

«Si on commence à gloser sur des questions pareilles, a-t-il répondu, on va voir le Kremlin lancer ses trolls pour réclamer un statut international pour la Corse. Ça plairait à la France, un statut international de la Corse? Il faut être sérieux. Soit on respecte l'ordre international et les frontières, soit on favorise la guerre. C’est une question stratégique, géopolitique et juridique, pas ethnique ou culturelle. Il ne faut pas jouer avec ça, sinon on peut faire n’importe quoi dans n’importe quel coin d’Europe.»

Et de poursuivre:

«Ce n’est pas le moment de se perdre dans les raisonnements abstraits, alors que la guerre bat son plein et qu’elle peut durer. Dans les territoires ukrainiens occupés, Moscou a apporté des statues de Staline, ouvert des goulags et des chambres de torture. On parlera de tout cela, mais après la guerre. La vraie question, c’est de savoir quel régime russe aura une frontière commune avec l’Europe et l’Ukraine ces prochaines décennies. Comment gérer ce voisin agresseur, qui veut détruire l’Europe et qui a commencé à le faire? Entre les attaques informatiques des pirates russes sur les hôpitaux et le soutien russe de l’extrême droite, la France en sait quelque chose. Le danger est réel.»


Crimée, péninsule si convoitée

La Crimée a été annexée par la Russie en 2014 après avoir été, en 1954, rattachée par l’URSS à la République socialiste soviétique d'Ukraine. Avant cela, la Crimée a fait partie de l’empire russe de 1783 à 1917 (134 ans seulement). Elle a tenté d’être une entité autonome à la révolution bolchévique comme à la dissolution de l’URSS en 1991. Avant cela, elle était un khanat tatar, dirigé par les descendants des Mongols installés au XIIIe siècle dans la péninsule. Durant trois siècles, ce khanat a prêté allégeance à l’empire ottoman. Dans l'Antiquité, la Crimée a été grecque et romaine tout en étant, par le nord, pénétrée par les peuples des steppes: Cimmériens, Scythes, Sarmates, Roxolans, Goths, Alains, Huns, Khazars, Pétchénègues ou Coumans, pendant que ses ports, au sud, ont été occupés par des comptoirs de Byzance, de Trébizonde, de Venise et surtout de Gênes.

Pour aller plus loin, lisez l’excellent chapitre sur la Crimée de Korine Amacher dans «Ukraine, Russie, Pologne, histoire partagée, mémoires divisées» (Antipodes, 2021), dont le PDF peut être téléchargé gratuitement.


Ode aux nomades

Pour l'écrivain et journaliste Anthony Sattin, les peuples nomades sont les grands oubliés de l'Histoire, alors qu'ils l'ont façonnée. Il leur consacre son dernier ouvrage, une nouvelle et extraordinaire histoire de la civilisation, racontée par ceux qui sont restés en mouvement. Kometa vous en partage en exclusivité deux extraits.


La photo de la semaine 

Pologne, Auschwitz, 1er mai 2008 | © Roger Cremer

En 2002, en visite à l’ancien camp d’Auschwitz, le photographe hollandais Roger Cremers aperçoit un touriste américain portant un t-shirt sur lequel est inscrit «Laugh, it’s an order» («Riez, c'est un ordre»). Il le prend en photo, mais fait le choix de ne pas publier cette image. La scène lui donne pourtant une idée: explorer la relation trouble entre tourisme et Seconde Guerre mondiale.

Une certaine violence ressort de cette image: le lieu de mémoire et de tant de souffrance devient attraction touristique. À quoi pensent ces touristes qui capturent chacun dans leur coin les micro-détails d’un camp d’extermination? «Avec ce projet, j'ai essayé de transmettre une relation équilibrée, réaliste et éthique entre le passé et le présent. Combiné à mon style photographique ; désinhibé, observant, présent et sans jugement» explique le photographe sur son site.  

Dans «Auschwitz - Tourist Behavior» la lourdeur du passé croise la naïveté du présent. Cette série, récompensée du World Press Photo Award en 2009, est la première de son projet «World War Two Today» dans lequel le photographe a travaillé sur la commémoration du D-Day en Normandie, le mémorial de Sobibor, ou encore les tombes de Ysselsteyn, plus grand cimetière militaire des Pays-Bas où sont essentiellement enterrés des soldats allemands. 

Ces images accompagnent notre grand entretien avec l’historien Timothy Snyder dans le 2e numéro de Kometa et à lire aussi en ligne.


La recommandation Kometa 

Haydée Sabéran, rédactrice en chef adjointe, a aimé Odyssée des filles de l’Est d’Eltiza Gueorguieva.

Odyssée des filles de l’est, de Elitza Guerguieva, Verticales, 2024 © Éditions Verticales, Gallimard

C’est quoi, une fille de l’Est? Vous les avez, les gros clichés, dans votre tête? Elitza Gueorguieva raconte, décalée et brillante, sa vie de Bulgare, étudiante en cinéma à Lyon, jusqu’au comique. De la dame au guichet de la préfecture bouffie de son importance à ses maladresses à elle, l’immigrée qui se plante sur les mots et confond « récépissé » et « laissez pisser ». C’est un livre qui nous regarde, nous, gens de l’Ouest, et qui regarde l’Est. Gueorguieva déroule les aventures de cette jeune fille qui débarque et découvre en France une Bulgarie qu’elle ne connaissait pas, celle que va lui raconter une autre Bulgare d’origine turque — comme 10% des Bulgares –, victime des lois racistes de son pays sous la dictature communiste, que tout le monde a oubliées. Elitza Gueorguieva est drôle et émouvante, du début à la fin.

Eltiza Gueorguieva, Odyssée des filles de l’Est, collection Verticales Gallimard, 2024, 17 euros


En Géorgie, du nouveau?

«Non à la loi russe!». Les images de la bagarre qui a éclaté lundi au Parlement géorgien lors d’un débat sur le projet de loi sur les «agents de l’étranger» ont fait le tour du monde. À Tbilissi, des milliers de Géorgiens ont rejoint les rues pour manifester contre ce nouveau projet de loi calqué sur le modèle russe. Sourd aux appels de la population, le Parlement a adopté une première version du texte dans la soirée du 16 avril. Ce projet de loi éloigne la Géorgie de l’UE et fait peser une menace sur la société civile et la presse indépendante.

Pour comprendre les tensions qui traversent ce petit pays, lisez ou relisez notre série d'Emmanuel Carrère, Un roman géorgien


A lire ce week-end

  • «Comment construire son meilleur ennemi?». Une question, plusieurs réponses. C’est le principe de la rubrique «Perspectives» de Kometa, qui réunit sept points de vue pour explorer ces «liaisons dangereuses», au cœur de notre 2e numéro.
  • La «Petite histoire d’un grand livre» de Pierre Haski. Dans son roman L'Hiver de la grande solitude (1973), Ismaïl Kadaré fait dialoguer le despote Enver Hoxha avec Nikita Khrouchtchev, n°1 de l’URSS. Un dialogue fou où tout est vrai, nous révèle Pierre Haski, parti sur les traces du grand écrivain albanais.
  • «Comment survivre entre l'Ours et le Dragon». La Mongolie est mieux connue pour ses paysages que pour sa place sur l’échiquier politique mondial. Le pays occupe pourtant une position géostratégique singulière. Entretien avec Antoine Maire, spécialiste du pays.

On vous a transféré cette newsletter ? Recevez-la chaque jeudi.


Des nouvelles de notre 3e numéro

L'équipe de Kometa en plein bouclage du 3e numéro | © Kometa

Notre 3e numéro va partir à l'imprimerie. Son thème? «Fabriquer l'oubli». En librairie le 23 mai.

A propos de Kometa

À l’origine de Kometa, une envie: comprendre le monde en allant voir là où il bouge. On ironise parfois sur ces Américains qui ne savent pas placer Paris ou Bruxelles sur une carte d’Europe, mais l’invasion russe de l'Ukraine a révélé notre méconnaissance d’une partie entière de notre continent.

Tous les trois mois dans une belle revue papier de 208 pages, chaque semaine dans ses newsletters et tous les jours sur son site, Kometa propose des grands récits littéraires, des photos d’auteurs et des débats d'idées pour saisir ce que nous n’avons pas vu se lever à l’Est. En révéler la richesse, les talents et l’incroyable complexité.

L'agenda

18-20 mai

Festival Etonnants Voyageurs, Saint-Malo

Kometa est partenaire du festival Etonnants Voyageurs. Avec notamment l’écrivain ukrainien Artem Chapeye, que vous avez pu lire sur notre site, ou Elitza Gueorguieva, que vous lirez dans le n°3. Vous pouvez d’ores et déjà réserver vos places


23 mai

«Fabriquer l'oubli» en librairie

Notre 3e numéro vient d'être bouclé! Retrouvez-le en librairie le 23 mai.


22-26 mai

Festival Oh les beaux jours !, Marseille

Kometa sera présent au festival Oh les beaux jours ! pour une rencontre avec l’écrivaine Elitza Gueorguieva et l’écrivain Sergueï Shikalov, animée par Pierre Benetti. Programmation plus précise à venir…

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