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Il vous reste deux jours! Après-demain, samedi 30 novembre, le festival Un week-end à l’Est, consacré cette année à Erevan, s’achève. Il a duré bien plus qu’un week-end (dix jours) et a porté haut les couleurs de l’Arménie et de sa capitale. À cette occasion, nous avons sorti un hors-série sur l’Arménie. Vous pouvez encore profiter des tout derniers jours (programmation ici) pour vous le procurer sur place. Ou bien sûr en librairie et Relay, tout comme sur les stands du Festival du livre arménien d’Alfortville (94), qui a lieu du 29 novembre au 1er décembre. 


Bonjour, je m’appelle Michel Petrossian

Né en Arménie, installé à Paris à l’adolescence, j’ai vécu ma première émotion musicale à 5 ans alors que je me promenais avec ma grand-mère dans un parc où jouait un orchestre d’harmonie. Le mélange des sons des cuivres avec celui des passants et des oiseaux m’avait fasciné, et je suis resté une heure derrière le chef, agitant une brindille de chêne. C’est pourtant d’abord vers la peinture que je me suis orienté, avant d’étudier le violoncelle et la guitare, puis de me tourner vers la composition, que j’ai étudiée au Conservatoire de Paris. Je me suis intéressé très tôt à ce qu’on appelle l'ethnomusicologie, ainsi qu’aux langues et civilisations anciennes.

J’ai également écrit des musiques de films, notamment pour Robert Guédiguian, et tout récemment pour le film En fanfare, d’Emmanuel Courcol. J’ai écrit un livre, Chant d’Artsakh (Éd. de l’Aire, 2021), qui parle de la guerre du Haut-Karabagh. Je travaille sur un opéra pour la Cité bleue de Genève, qui verra le jour en juin 2025. 


Mon article dans le numéro spécial Arménie  

L'ensemble Gurdjieff à Tonhalle, la salle de concert de Saint-Gall, en Suisse. ©Adriana Ortiz Cardozo

Dans mes «Balades sonores» composées pour Kometa, je raconte de manière personnelle les figures qui incarnent la diversité et la richesse d’un phénomène nommé «musique arménienne». Au départ, elle me laissait indifférent, je la pensais archaïque. Ce sont plutôt les Beatles et Led Zeppelin qui me fascinaient quand j’étais ado. À 15 ans, avec un camarade aux cheveux longs, on avait formé l’un des premiers groupes de rock progressif en Arménie.

Une musique vivante, organique

Mais à 16 ans, j’ai découvert Debussy et Messiaen, et j’ai eu accès à des enregistrements ethnographiques des années 1970 trouvés au Conservatoire d’Erevan. Un choc. La musique arménienne, ce n’était pas du folklore, c’était organique, vivant. Je suis devenu compositeur, poursuivant mes études au Conservatoire de Paris. J’ai aussi pris conscience de l’immense trésor que représentait trois mille ans de civilisation musicale arménienne, du classique au traditionnel, du jazz au rock, de l’électro-pop au contemporain.  

Komitas en chef de file

Pour beaucoup d’Arméniens, tout commence avec Komitas (1869-1935), chanteur, ethnomusicologue, compositeur, collecteur de sons et prêtre. Autres figures marquantes: Arno Babadjanian (1921-1983), qui a œuvré dans le domaine de la musique légère comme classique. Artur Avanesov et sa musique savante; la soprano Anahit Papayan, qu’on peut écouter au monastère de Geghard; le jazzman Tigran Hamasyan. 

L'arménien, langue chantante

J’évoque aussi, par-delà les clichés, l’influence de la musique orientale sur la musique arménienne, que célèbre André Manoukian, en tentant de retrouver une partie de cet héritage perdu depuis 1915. Encore une figure incontournable: Khatchatourian, qui réussissait durant la période soviétique à introduire des mélodies arméniennes dans ses oeuvres symphoniques. Plus près de nous, le groupe lillois Ladaniva a représenté l’Arménie à l’Eurovision cette année. Il est composé du multi-instrumentiste Louis Thomas et de la chanteuse Jaklin Baghdasaryan, à la voix si juste et qui chante en arménien. Et pour moi, apprendre l’arménien, c’est commencer à chanter !


La date qui m'a marqué

Le 26 mai 451, la bataille d'Avarayr, perdue par les Arméniens contre une armée perse deux à trois fois plus nombreuse. Un moment charnière dans l’histoire arménienne, et commémoré comme symbole de résistance, malgré la défaite. Dès 428, se trouvant sous la suzeraineté perse, les Arméniens avait été sommés d’abandonner le christianisme et de se convertir au zoroastrisme, ce que les élites ont fait, contraintes et forcées. Mais le peuple arménien se révolta. C’est donc une armée de paysans qui se bat ce 26 mai 451, menée par le chef de guerre Vardan Mamikonian. Il meurt en héros dans la bataille, mais cette résistance a des conséquences remarquables: le maintien de la religion chrétienne, de la langue arménienne, dont l'écriture avait été inventée pour écrire les textes sacrés, ainsi que le gain d'une autonomie interne.


Un lieu à découvrir en Arménie

Sur la place de la République, vers laquelle convergent tous les axes d'Erevan, un bâtiment abrite le Musée de l'histoire et le Musée des beaux-arts. Comme la découpe d'une strate géologique, ce lieu réunit tout ce qui caractérise l'Arménie et ce que j'aime: un musée qui retrace la présence plurimillénaire des civilisations qui se sont succédé sur le plateau historique arménien, matérialisées parfois par des objets humbles, comme la plus vieille chaussure en cuir du monde; un autre qui regroupe une sublime collection de peintures européennes, de Van Dyck à Francesco Guardi, un étage dédié à la peinture soviétique et russe (Chagall, Filonov) et un autre où sont regroupées les collections arméniennes, d'Aïvazovski à Sarian en passant par Sureniants dont la magnifique Salomé (1907) est presque contemporaine du plus sublime opéra de Richard Strauss.


Un lieu arménien à découvrir en France

Le quartier de Beaumont, dans le 12e arrondissement de Marseille. Des amis m'y ont emmené, c'est vraiment une petite Arménie avec des marchands, des petites échoppes qui portent des noms en référence à l'Arménie, une vraie vie, comme une cité grecque, la cité phocéenne de Marseille. Il y a là un ensemble de musique traditionnelle Kéram, des gens qui font du théâtre. Je n’y suis allé qu’une fois mais j’ai retrouvé cette atmosphère de la vie arménienne réelle, avec ce goût pour la musique, pour les arts, des gens très simples, des gens qui exercent des métiers manuels ou artisanaux. Ça m'avait touché parce que c'était une vie authentique. Avec cette saveur de ce qu'une certaine vie arménienne aurait pu être. Une vie non seulement en communauté, mais en société.


Une raison d’espérer

Pour la première fois depuis cent cinq ans, les Arméniens font face à une menace existentielle réelle. Pourtant, dans son livre Peuples-mondes de la longue durée (CNRS éditions, 2022), le chercheur émérite Michel Brunet dénombre six peuples qui ont réussi à maintenir leur langue, leur culture, leur particularité religieuse et à reconstruire leur État. Avec les Chinois, les Iraniens, les Juifs, les Grecs et les Indiens, les Arméniens sont classés parmi ces six peuples-mondes de longue durée. En dépit des apparences, de la petitesse et de la faiblesse, cette longévité historique me fait espérer un nouveau printemps, un avenir réel pour l'Arménie qui pourra prolonger son existence tumultueuse dans la modernité turbulente, puisant dans son passé des ressources pour une nouvelle vitalité. 


Un livre à offrir

La maison dans laquelle de Mariam Petrosyan (Éd. Monsieur Toussaint Louverture, traduit du russe par Raphaëlle Pache). Ce livre incroyable d’un millier de pages a été désigné meilleur livre 2016 du magazine Lire dans la catégorie Fantastique. Son univers, onirique et touchant, entre Tolkien et Lewis Caroll, a suscité toute une communauté de fans à travers le monde. Il s’agit d’enfants un peu particuliers, inadaptés, qui ont chacun un surnom (Fumeur, Rousse, Noiraud, Sirène…) et vivent dans une sorte d’orphelinat. Ils semblent livrés à eux-mêmes – il y a des adultes, mais on les voit peu. Mariam a mis dix-huit ans à l’écrire. Il a circulé plusieurs années dans son cercle d’amis, avant qu’un éditeur le découvre. Cette femme a pour moi la même grandeur que Salinger, dans L’Attrape-cœurs. De la littérature de haut vol.


Le film que je recommande

Les Saisons, d’Artavazd Pelechian, un film de 1972, dans l’Arménie soviétique. Ce film en noir et blanc d’une trentaine de minutes, tourné dans l'un des villages les plus reculés du pays, raconte le cycle de la vie, les rythmes agricoles, la transhumance, la moisson, dans un paysage de montagnes, de torrents. Il se termine par une fête paysanne, avec des rituels très anciens. Selon la légende urbaine, ce village a découvert quinze ans après tout le monde que la révolution bolchévique avait eu lieu. Il y a quelque chose de très poignant, d'archétypal dans ce film, en plus d’un travail innovant de « montage à distance », qui consiste à intercaler deux séquences de la même scène avec des séquences d'une autre pour travailler sur la mémoire, la perception. En 2015, on m'avait sollicité pour écrire une musique, pour la jouer avant et après ce film à l’occasion du festival d'Aix avec l'ensemble Musicatreize sous la direction de Roland Hayrabedian. J'avais repris ces techniques de montage cinématographique en musique. Il y avait donc la musique, puis on projetait le film et ensuite la musique revenait, dans une sorte de dialogue. J’ai été imprégné de ce film. On l'avait montré en Corse, en résidence dans le village de Pigna, au VOCE, le Centre national de création musicale et les Corses se reconnaissaient dans le film, ils disaient que ça pourrait être des bergers corses et de n'importe quel endroit de la planète où ces rythmes des saisons organisent la vie collective et créent une sorte de sentiment de temps circulaire. Avec très peu de pathos, mais une infinie tendresse, ce film n'a pas pris une ride.


Une phrase qui m’inspire

Une citation de Paul Tillich (1886-1965), grand auteur spirituel allemand du XXe siècle, qui a dû s'exiler aux États-Unis après avoir dénoncé le nazisme. L'un de ses livres les plus célèbres, Le Courage d'être (1952), traite du courage comme Bergson traite du rire.

«Le courage est l'affirmation de soi en dépit du fait du non-être. Le courage a besoin de la puissance de l'être, puissance qui transcende le non-être qui est ressenti dans l'angoisse du destin et de la mort, qui est présent dans l'angoisse du vide et de l'absurde, qui est agissant dans l'angoisse de la culpabilité et de la condamnation.»


Vu ailleurs

Arte propose sur son fil Instagram arteinfo une série de nouvelles vidéos qui parlent des quotidiens bouleversés depuis le début de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie. Dans les zones où la liberté de la presse est inexistante, Arte donne la parole à celles et ceux qui y vivent. Premier témoignage animé à retrouver ici : https://www.instagram.com/p/DCzNpfOMbBh/

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