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Notre premier numéro de 2025 est sorti le 15 janvier ! Avec un mot d’ordre : «Rire pour résister», qui prend tout son sens face aux menaces et aux incertitudes à même de miner nos meilleures résolutions. Retrouvez la marraine de ce numéro, la journaliste et humoriste belge Charline Vanhoenacker, accompagnée par l’artiste burkinabée Roukiata Ouedraogo qui a signé un article, à la librairie parisienne Les Traversées, ce samedi 25 janvier. Venez nombreux!


Dans Kometa, des correspondances à nulle autre pareilles

L’Iranienne Nasim Vahabi et le Russe Mikhaïl Chichkine, la Turque Sedef Ecer et la Tchétchène Milana Terloeva, la Française Hélène Gaudy et le Hongrois György Dragoman, l’Arménien Serge Avédikian et le Turc Osman Kavala… À travers sa rubrique de correspondances, Kometa tisse des liens entre les pays, les langues, les histoires. À chacun de nos numéros, vous pouvez ainsi retrouver des échanges épistolaires inédits entre écrivains et écrivaines qui racontent nos vies à plusieurs voix, par-delà les frontières.

Dans cette lettre d'info, nous vous livrons des extraits de la correspondance inédite et puissante entre Rami Abou Jamous et Sélim Nassib. Le premier est un journaliste palestinien de 46 ans, qui vit avec sa famille à Gaza. Son journal de bord sous les bombes israéliennes pour le site Orient XXI lui a valu trois prix Bayeux pour les correspondants de guerre. Le second, journaliste et écrivain de 78 ans, vit en France. Libanais, né à Beyrouth dans une famille juive, il a couvert pour Libération la guerre du Liban. Son dernier roman, Le Tumulte (L’Olivier), a reçu le prix France-Liban 2023.


Sélim, 24 octobre 2024, à 13h56

Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 20 octobre 2024. De jeunes Palestiniens allument un feu en haut des décombres de leurs maisons après la destruction de leur quartier.
© Soliman Hijjy

«Pour commencer, je dois te dire que j’ai moi-même porté ton nom dans une autre vie – littéraire. C’était en 1994, il y a trente ans maintenant. J’écrivais un livre dont le personnage principal était Oum Kalthoum et dans lequel j’étais Rami, Ahmad Rami, le principal poète de la diva. [...]

Près de cinquante ans se sont écoulés depuis la mort d’Oum Kalthoum et le monde arabe est toujours hors du monde. Quant à toi, Rami, ta famille, tes voisins, tes compatriotes, Gaza tout entier, on dirait que vous n’existez quasiment plus sur terre. Votre oppresseur a fait ce qu’il peut pour vous en convaincre – et en convaincre le monde. [...] Je ne sais comment te parler, Rami, moi sur mon ordinateur tranquille à Paris et toi, là-bas, au pays de l’enfer. Je peux seulement me lever et tenter de te dire le plus simplement du monde les choses telles que je les vois. [...]

Les Israéliens vous tuent et vous rendent irréels en même temps. C’est leur seule victoire. Vous faire disparaître comme êtres humains dans l’inconscient collectif, c’est ce à quoi ils travaillent inlassablement depuis le premier jour, il y a plus d’un siècle, vous faire disparaître en vous chassant au-delà des frontières, en grignotant vos terres et en les couvant de colonies – mais surtout en vous rendant transparents, en vous transformant en zombies poussés de gauche et de droite dans un territoire bouclé de toutes parts et rendu, de par leurs mains, invivable. 

Ils sont pour l’instant les maîtres du récit, du moins en Occident – même si leur récit craque de toutes parts. [...] S’il y a des manifestations dans le monde, en particulier dans les prestigieuses universités américaines, c’est que le monde est antisémite et l’a toujours été ; si des juifs (comme moi) les critiquent et leur disent qu’ils déshonorent le judaïsme, c’est qu’ils sont animés par « la haine d’eux-mêmes ». [...]

En perpétrant le terrible massacre et la prise d’otages le 7 octobre 2023, le Hamas leur a permis de se déchaîner. Ils disent qu’ils se défendent, mais leur but effectif est d’annihiler toute possible menace extérieure afin qu’ils puissent vous faire partir pour de vrai et que s’établisse enfin un État exclusivement juif en Palestine. 

Je lis ton journal. Il est réel et rend les choses réelles, vivantes comme de la chair vivante, exactement ce qu’il faut pour casser l’édifice imaginaire qui vous transforme en chiffres. Tu multiplies les exemples qui montrent à quel point les Palestiniens de Gaza aiment passionnément la vie, ce qui les aide à résister. 

J’attends ta réponse. J’ai hâte. Prends bien soin de toi et des tiens, avec toute mon affection. 


 Rami, 28 octobre, 9h42 

Sidon, Liban, 24 septembre 2024. Des réfugiés venant de zones proches de la frontière avec Israël trouvent refuge dans des écoles de la ville après une série d’attaques aériennes.
© Lorenzo Tugnoli

Merci beaucoup pour ta lettre. J’ai été profondément touché par tes mots et surtout par ton empathie pour les Gazaouis, et pour ce que je vis avec ma famille. 

Moi et mes enfants sommes chassés d’un endroit à l’autre à l’intérieur du minuscule territoire de la bande de Gaza. C’est toujours le même occupant qui veut se faire une place sur notre terre. [...] Mes parents m’ont appris l’amour de la patrie. Ils m’ont appris aussi à garder ma dignité, en toutes circonstances. Et c’est ce que j’essaie de faire dans ce nettoyage ethnique, ce génocide qui est en cours à Gaza. Il se passe sous les yeux du monde, mais le monde ne veut pas le nommer. Nous subissons une guerre sans pitié accompagnée d’une guerre médiatique tout aussi sans pitié. [...]

Des milliers de morts sont toujours sous les décombres. Et le monde ne bouge pas. Il fait comme si de rien n’était. [...] Tout n’a pas commencé le 7 octobre 2023. Israël occupe la Palestine depuis 1948. Les jeunes sont en train de le comprendre, mais malheureusement leurs dirigeants ne veulent pas comprendre, ou ils ne veulent pas réagir. Ils encouragent Israël, non parce qu’ils l’aiment, mais pour de multiples raisons, entre autres pour maintenir le monde arabe dans l’instabilité. [...]

Pour ma part, j’essaie de raconter ce qu’il se passe en Palestine à travers mon histoire personnelle. J’ai sacrifié ma vie privée, qui était importante pour moi, tu connais notre culture. Parce que je voulais que les gens sachent. J’ai couvert plusieurs guerres, mais cette fois j’ai senti que c’était moi la cible. Alors, c’est moi l’info.

Je suis l’un des 2,3 millions d’êtres humains qui vont mourir. Donc je parle de ma vie, je parle de moi, de mon épouse, Sabah, de mon fils, Walid. Je raconte comment un père palestinien essaie de protéger sa famille, comment il fait pour survivre. Ce qu’on est en train de vivre depuis plus d’un an, ce n’est pas de la vie, c’est de la survie. [...] Notre quotidien, c’est se cacher pour éviter la mort. Trouver quelques boîtes de conserve pour ne pas mourir de faim. Mais je ne suis qu’un petit exemple parmi 2,3 millions de personnes. Dont chacune a un nom, une histoire, des ambitions, des rêves, une famille. [...]

J’espère que toi et moi nous nous rencontrerons ici en Palestine. Je t’inviterai à boire un café à Jérusalem, à Gaza, à Ramallah et au bord de la mer. Et un matin, nous écouterons Fairouz ensemble, et nous nous raconterons tout cela en disant: «On savait qu’un jour on allait être libres.» 


Sélim, 31 octobre, 18h41

Deir al-Balah, au centre de la bande de Gaza. À travers le pare-brise détruit d’une voiture, la détressed’une famille palestienne durant la procession funéraire de membres de leur famille.
© Soliman Hijjy

Mon cher Rami, j’espère que tu es en sécurité et que la nuit sera quand même belle pour toi, ta femme et ton fils. [...]

Je crois sincèrement que l’assaut meurtrier lancé le 7 octobre 2023 par le Hamas a été un désastre pour les Palestiniens. C’est précisément cette attaque qui a permis à l’armée israélienne d’envahir et de détruire Gaza impunément. Ce n’est pas Israël qui a créé le Hamas, il l’a simplement soutenu afin d’affaiblir l’Autorité palestinienne et éloigner la solution dite «des deux États». Le Hamas, lui, est né sous l’égide d’un islamisme qui a gagné toute la région après l’échec du courant nationaliste arabe, de gauche et plutôt laïque de ma génération. [...]

Rami, je crois sincèrement que vous avez la réalité pour seule alliée. Quoi qu’ils fassent, ils n’arriveront pas à vous éradiquer. [...] Pour les Palestiniens, le malheur est grand – sans parler du pauvre Liban. Quand il s’abat, que reste-t-il pour résister ? Comprendre la responsabilité de chacun dans la catastrophe, garder son humanité en éveil, ne pas céder à la haine, écrire quand on le peut. C’est bien ce que tu fais, Rami, écrire, et cela t’a valu l’attribution de trois prix de correspondant de guerre cette année à Bayeux. 

Le soutien de la société israélienne à la guerre reste écrasant. Les premiers craquements apparaissent pourtant. [...] Arrivera-t-il le moment où les Israéliens se réveilleront de l’aveuglement fasciné dans lequel le traumatisme du 7 octobre les a plongés? Serons-nous encore là, toi et moi, pour assister à cet éventuel réveil, ce moment où ils se prendront la tête dans les mains pour se dire : «Qu’avons-nous fait?» Peut-être pas. Mais l’histoire se fiche de nous, elle avance à un autre rythme que celui de nos pauvres vies, n’est-ce pas?


 Rami, 11 novembre, 7h20

Zoufi, un commandant des Brigades des Martyrs d'Al-Aqsa, avec son fils dans le camp de réfugiés de Balata à Naplouse, en octobre 2023. © Lorenzo Tugnoli

Le Hamas fait de la politique seulement depuis 2007. Ils ont cru savoir jouer ce jeu-là, alors qu’ils ne comprenaient pas ce qu’il se passait. Le Hamas, c’est un peu comme un gamin à qui on donne une kalach. Pour moi, c’est à cause de cette ignorance de la politique qu’ils ont fait le 7 octobre. [...] Je sais très bien ce qu’ont vécu les Israéliens ce jour-là. Parce que nous, nous le vivons tous les jours. [...] 

Résister contre l’occupation, c’est du terrorisme. Même soutenir la Palestine, c’est « faire l’apologie du terrorisme ». En revanche, quand on parle de l’Ukraine, on dit qu’elle est occupée par la Russie. On lui donne des armes et de l’argent. Eux, ils ont le droit de résister. [...]

Les populations palestiniennes et israéliennes souhaitent la paix. On a tout ce qu’il faut pour vivre ensemble, mais malheureusement le gouvernement israélien dit «c’est soit nous, soit vous, et le plus fort va gagner». Et maintenant c’est encore pire, avec Trump qui veut résoudre la question palestinienne à sa façon, imposer ses solutions à tout le monde. [...]

J’essaie toujours de faire le clown pour que mon fils Walid ne pense pas au danger, ni à l’humiliation, ni à la dureté de notre vie. Pour mon épouse Sabah, c’est très difficile d’être enceinte dans ces conditions : pas assez de nourriture, pas d’eau potable et surtout pas de suivi médical. Mais c’était notre décision. Cet enfant à naître, c’est une façon de dire : nous sommes là, et nous y restons. [...]

Malgré tout, je crois qu’un jour nous aurons nos droits, parce qu’il y aura des gens qui comprendront que la meilleure solution, c’est de vivre en paix. Et je crois vraiment à ce jour-là, je crois qu’il ne va pas tarder, et que toi et moi nous le fêterons ensemble.


Retrouvez l’ensemble de cette Correspondance dans le numéro 5 de Kometa.

A propos de Kometa

Née du choc du retour de la guerre sur le continent européen, Kometa raconte le monde partout où il bascule, de l’intérieur, à travers les regards de celles et ceux qui le vivent. La revue fête sa première année et grandit grâce à vous, en passant de 4 à 6 numéros par an en 2025.

En vous abonnant, vous soutenez des autrices et des auteurs en résistance et un journalisme indépendant de qualité. Retrouvez tous les deux mois dans une belle revue papier des grands récits littéraires, des photos d’auteurs et des débats d'idées, et suivez-nous chaque semaine dans notre newsletter et chaque jour sur nos réseaux. Merci d'être à nos côtés!

L'agenda

25 janvier

Rencontre à la librairie Les Traversées

Rejoignez-nous le samedi 25 janvier de 15 heures à 17 heures aux Traversées (Paris 5e) pour une rencontre exceptionnelle avec Charline Vanhoenacker, marraine du n°5 de Kometa, et Roukiata Ouedraogo, autrice invitée. Un moment d’échange autour de la nouvelle revue à ne pas manquer !


30 janvier

Journée sur «Le patrimoine immatériel arménien» avec Michel Petrossian.

Le 30 janvier, la Maison de la Recherche de l'INALCO accueillera une journée dédiée au patrimoine immatériel arménien, mettant en lumière la langue, la musique, les récits et l'artisanat de cette culture millénaire. Cet événement sera marqué par l'intervention du compositeur Michel Pétrossian qui partagera ses connaissances sur ces traditions vivantes. Une occasion unique de découvrir et de célébrer cette richesse culturelle au cœur de Paris.

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