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Bonjour, c’est Kometa. La semaine dernière, Christophe Boltanski brossait Vladimir Poutine en homme qui dévore ses oligarques, avant-goût d’une série pour notre revue.

Depuis le putsch avorté du 24 juin, le président tente de digérer un autre oligarque, Evguéni Prigojine. Pas facile: ils se ressemblent, ce sont deux caïds qui parlent le même langage, celui de la pègre et des «zeks», raconte Serge Michel, cofondateur de Kometa.

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La recette de Prigojine? Son langage de truand

A Rostov au soir du 24 juin, Evguéni Prigojine a été acclamé par la foule, séduite par son «parler vrai», c’est-à-dire son langage ordurier d’ancien prisonnier. (Anton Sechin / AP / SIPA)

Je me suis trouvé un jour par plus de 90 degrés dans un bania (un sauna) en compagnie d’un homme d'affaires russe, disons un oligarque de moyenne importance. Il était occupé à me fouetter le dos avec des branches de bouleau. Quand je lui eus rendu la pareille et que nous nous fûmes tous deux roulés dans la neige pour ramener nos cerveaux à une température raisonnable, nous pûmes enfin causer.

«Je suis né à Samara en 1950, commença-t-il. On n’avait pas de salle de bain à la maison, alors j’accompagnais mon père au bania deux fois par semaine. C’était l’époque, après la mort de Staline, où beaucoup de zeks sortaient du goulag». Zek, c’est l’abréviation de «zaklioutchonniï kanaloarmeyets», littéralement «détenu-combattant du canal», les détenus affectés au creusement du canal entre la Baltique et la mer Blanche, terme étendu ensuite à tous les prisonniers. 

«Il y avait plein de zeks au bania, continua l’oligarque. Ils étaient nus, tatoués de la tête aux pieds. C’est en déchiffrant caractère après caractère ces mots sur leur corps que j’ai appris à lire. Des mots grossiers, que je n’entendais pas à l’école. Des mots de zeks.»

Manger du chien

Ne vous y trompez pas, ces zeks tatoués n’étaient pas les grands dissidents qui allaient plus tard raconter l’univers concentrationnaire soviétique, les «Ivan Ivanovitch», comme étaient surnommés les intellectuels au goulag. C’étaient les «droit commun», souvent des meurtriers, justement chargés par les autorités des camps de «rééduquer» les politiques, c’est-à-dire de les anéantir avec une cruauté inouïe. «J’ai vu l’être humain ravalé au rang de bête, raconte l’écrivain Sergueï Dovlatov (1941-1990) dans «La Zone». Dans ce monde, on se battait avec des limes aiguisées, on mangeait du chien, on se tatouait le visage et on violait des chèvres. Dans ce monde, on tuait pour un paquet de thé.»   

Pourquoi me revient cet épisode du bania? Parce que tout ou presque a été dit ces dernières semaines sur Evguéni Prigojine, sauf peut-être l’origine carcérale de son vocabulaire. Le patron des mercenaires russes de Wagner a fait neuf ans de prison pour cambriolages à Saint-Pétersbourg avant de commencer à servir Vladimir Poutine, d’abord comme restaurateur, puis comme organisateur d’une milice chargée des basses œuvres du Kremlin dans le Donbass, en Syrie ou en Afrique.

S’il a pu, dès l’été 2022, convaincre jusqu’à 40’000 prisonniers de rejoindre ses rangs pour «partir en viande» (c’est son expression) sur le front de Bakhmout, c’est qu’il parlait leur langage, le «mat», une sorte d’argot ultraviolent. S’il a séduit une partie de l’opinion russe, jusqu’à être acclamé par la foule à Rostov-sur-le-Don après sa tentative de putsch, c’est que ses mots, ses insultes, sonnaient «vrai». C’est dire à quel point le «mat» des zeks a pénétré et pourri la langue de la Russie mafieuse d’aujourd’hui. 

«La merde bouillonne»

Vladimir Poutine a imposé sa verticale du pouvoir avec des phrases comme: «On ira buter les terroristes [tchétchènes] jusque dans les chiottes». Quel que soit son destin désormais, Evguéni Prigojine ne faisait rien d’autre en traitant ces derniers temps le ministre de la Défense Sergueï Choïgou de «salope» et son état-major «d’animaux puants», de «dégénérés» qui refusent de lui livrer des «putains d’obus», si bien que «la merde bouillonne».

Le président et le mercenaire apparaissent ainsi comme deux caïds qui s’affrontent et dont on comprendra l’univers mental en lisant ou relisant Varlam Chalamov (1907-1982) et son excellent «Essais sur le monde du crime» (traduit par Sophie Benech, Gallimard,1993). Après s’être insurgé contre la «poétisation effrénée» des malfrats dans les littératures russe et française, il lâche l’essentiel: «Il n’y a rien d’humain chez un truand».

Qu’y a-t-il d’humain quand Prigojine fait exécuter un déserteur à coups de masse sur le crâne avec ce commentaire: «une fin de chien pour un chien»? Ou quand Poutine préside au massacre quotidien de dizaines de civils ukrainiens? La rivalité entre eux est inégale – le président a toutes les chances de l’emporter. Mais il faut se souvenir qu’il existe en Russie un code d’honneur chez les truands et que l’entente finit souvent par prévaloir.

De l'or et des armes

D’ailleurs, selon le média russe Fontanka, proche du Kremlin, Evguéni Prigojine s’est vu restituer dimanche 2 juillet plus de 10 milliards de roubles (env. 102 millions d’euros) qui lui avaient été confisqués à Saint-Pétersbourg au soir de la rébellion, le 24 juin, ainsi que cinq lingots d'or et des centaines de milliers de dollars américains en espèces. Les dégâts matériels causés par Wagner à Rostov-sur-le-Don (env. 1 million de dollars) ne lui seront pas facturés, pas plus que les dédommagements aux familles de la quinzaine de pilotes russes abattus par les mercenaires durant leur course folle vers Moscou.

Hier mercredi, toujours selon Fontanka, c’est l’arsenal d’armes automatiques saisi à son domicile qui a été rendu à Prigojine venu en personne le récupérer à Saint-Pétersbourg alors qu'on le croyait à Minsk, en Biélorussie. Dans le lot, il y avait un révolver Glock dédicacé, qui lui avait offert à l’époque par... le ministre de la défense Sergueï Choïgou, son ennemi d'aujourd'hui.

Serge Michel

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