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Bonjour, c’est Kometa. Cette semaine, nous vous racontons l'histoire d'un pays invisible, où les photos de chats et de fleurs en disent plus que mille mots.

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La Russie sans images

Un chat de Saint-Pétersbourg, de la série «Backyard Diaries» | © Nikita Teryoshin

À en juger par son compte Instagram, Dmitri (le prénom a été modifié, et il ne s'agit pas de Nikita Teryoshin!) mène une vie agréable. Il poste presque chaque jour des photos de fleurs, de chats et d’amis beaux et souriants. L’iconographie classique d’une époque qui a fait du bonheur un produit standardisé et des réseaux sociaux la vitrine de nos égos.

Dmitri est photojournaliste. D’ordinaire, son compte raconte son travail, un mur d’images de guerre, de larmes et de bouleversements sociaux, prises dans sa Russie natale ou à l'étranger. Il a travaillé en Tchétchénie, en Afghanistan, en Irak, au Mali. Mais depuis la répression de toute opposition en Russie après l'invasion brutale de l'Ukraine il y a quinze mois, Dmitri partage les images d’un monde qui n’est pas le sien. Son profil est un mur d’illusions perdues.

Craintes de représailles

En mars 2022, Poutine a signé une loi qui condamne à un maximum de 15 ans de prison les personnes diffusant de «fausses nouvelles» sur l'armée russe. De nombreux photographes se sont exilés. Ceux qui restent vivent dans la peur: comme ses confrères avec lesquels nous échangeons par messagerie cryptée, Dmitri nous a demandé de ne pas révéler l’adresse de son compte Instagram, par crainte de représailles. 

Dans les mois qui ont suivi l’invasion, Dmitri s’est risqué à photographier les rassemblements anti-guerre et les arrestations féroces de manifestants. Mais ces rassemblements se sont raréfiés et la police s’est mise à arrêter non seulement ceux qui étaient dans la rue, mais aussi ceux qui documentaient leur courage. Et puis, que faire de ces images? En Russie, les espaces de liberté d’expression ont pratiquement disparu; impossible aussi de les vendre à la presse occidentale, sous peine d'être accusé d'être un «agent de l’étranger». L'arrestation, début avril 2022, d'Evan Gershkovich, correspondant du Wall Street Journal à Moscou, accusé d'espionnage, a montré aux Russes et aux étrangers que l'existence même du journalisme était menacée en Russie.

Des photos orphelines

«Dans ces conditions, il est impossible de couvrir directement ce qui se passe sur le terrain en Russie. Reporters et photographes se retrouvent en partie éloignés du réel, un peu comme à l’époque soviétique. Beaucoup s'autocensurent», raconte une journaliste qui a fui Moscou en mars 2022. 

Rester en Russie oblige à travailler autrement. Un photographe confie: «Mon objectif est d'être témoin des événements. Être à l'intérieur m'aide à réfléchir, à me poser les bonnes questions. Je sais que mon travail ne sera pas vu par le public pour le moment. Ce n'est pas encore le moment.» Entre le lancement du projet de Kometa l'automne dernier et aujourd’hui, de plus en plus photographes ont dû renoncer à partager avec nous leurs photos pour les publier. Trop risqué. 

Les chats, témoins d’une époque

Cette situation fait écho à l’histoire de Li Zhensheng. Photographe officiel de la presse chinoise pendant la révolution culturelle qui s’est abattue sur le pays entre 1966 et 1976, Li avait un accès privilégié à tous les événements. Le Parti communiste chinois exigeait que les journaux ne publient que des images «positives», essentiellement des révolutionnaires souriants faisant l'éloge du président Mao et de ses réformes. Les images «négatives», celles qui montraient les exécutions, les humiliations publiques, étaient cachées sous le plancher de la maison de Li. Grâce au journaliste et fondateur de Contact Press Image, Robert Pledge, elles ont été publiées en 2003, révélant l'horrible face cachée de la révolution culturelle, les dizaines de millions de morts. L’ouvrage s'intitulait Le petit livre rouge d'un photographe chinois.

Aujourd’hui, la guerre russe en Ukraine est documentée par des centaines de photographes et de vidéastes locaux et étrangers. Des prises satellites aux tournages amateurs, des meilleurs photojournalistes du monde aux photographes de mariage ukrainiens armés d’un appareil sur la ligne de front en passant par les selfies des soldats, des milliers d’images et de vidéos sont produites chaque jour.

Un silence assourdissant

Les commentateurs d'aujourd'hui, les historiens de demain et les juges de la Cour pénale internationale disposent d'un matériel abondant pour examiner les atrocités commises sur le sol ukrainien et en débattre. C’est peut-être le conflit le plus photographié de tous les temps. Ces images nous ont appris à placer des villes sur des cartes, voire, pour certains, à faire la différence entre un Himar américain et un Caesar français, entre un lance-missiles portable Javelin, Stinger ou NLAW.

Résistance, collaboration avec le pouvoir, résignation? Ce qui se passe en Russie est à peine documenté. Un silence assourdissant. L’image invisible d’un pays-continent. Dans le passé, lorsqu'un dirigeant soviétique mourait, de la musique classique était diffusée à la radio d'État et le «Lac des cygnes» de Tchaïkovski passait en boucle à la télévision. Tout le monde savait ainsi que quelque chose était en train de se passer. Peut-être que l'abondance de fleurs et de chats sur les comptes des photographes russes est un signe, s'il en fallait un, que ce que nous voyons montre ce que nous ne pouvons pas voir.


Ces chats de basse-cour

Nikita Teryoshin, né en 1986 à Saint-Pétersbourg, a déménagé avec ses parents quatorze ans plus tard à Dortmund, en Allemagne, où il a étudié la photographie. Il décrit son travail documentaire comme portant sur la rue et l'horreur du quotidien. 

Son projet «Backyard Diaries», dont est issue l'image de cette newsletter, présente des chats de basse-cour comme une alternative aux mèmes de chats et à toutes ces images de chats qui peuplent l’Internet. Une façon de rendre hommage à ces marginaux de la société. Il a commencé la série à Saint-Pétersbourg et l'a poursuivie à Bangkok, Atlantic City et Istanbul. Autre projet: entre 2016 et 2022, il a participé à quinze salons des technologies de la défense, dans treize pays sur les cinq continents, afin de mieux comprendre le commerce mondial des armes. «Nothing Personal: The Back-Office of War» fera l'objet cet été en Italie d'une exposition au festival Cortona on the Move, dont le directeur artistique, Paolo Woods, un des fondateurs de Kometa, n'est autre que l'auteur du texte ci-dessus.

A propos de Kometa

À l’origine de Kometa, une envie: comprendre le monde en allant voir là où il bouge. On ironise parfois sur ces Américains qui ne savent pas placer Paris ou Bruxelles sur une carte d’Europe, mais l’invasion russe de l'Ukraine a révélé notre méconnaissance d’une partie entière de notre continent.

Tous les trois mois dans une belle revue papier de 208 pages, chaque semaine dans ses newsletters et tous les jours sur son site, Kometa propose des grands récits littéraires, des photos d’auteurs et des débats d'idées pour saisir ce que nous n’avons pas vu se lever à l’Est. En révéler la richesse, les talents et l’incroyable complexité.

L'agenda

La semaine prochaine…

… nous vous parlerons d’un dilemme que nous n’avions pas vu venir.


FIN DE L'ÉTÉ

Préventes

Pour le moment, Kometa existe dans vos boîtes mails et sur les réseaux sociaux. Dès le mois d'août, vous aurez la possibilité de vous abonner et de commander les premiers numéros de la revue. D'ici là, suivez l'actualité du projet grâce à cette newsletter. Si quelqu'un vous l'a fait suivre, vous pouvez vous inscrire ici.


AUTOMNE

Sortie du premier numéro

Le premier numéro de Kometa est prévu pour la rentrée, tout comme le site complet. D'ici là, on vous promet quelques bonnes feuilles et bonnes histoires.

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