Lancer une revue, c’est espérer qu’un jour, on fera le mur. En journalisme, ça ne veut pas dire s’enfuir sans permission, mais construire. C’est le moment où, soudain, le projet développé par toute une équipe prend forme, physiquement. Des autrices et des auteurs sont partis en reportage raconter la vie des autres et la nôtre en miroir; des photographes nous ont transmis des images interdites dans leur pays au risque d’être arrêtés; des poètes ont couché des mots pour partager l’indicible.
Et voilà leurs histoires relues des dizaines de fois et maquettées derrière un ordinateur enfin imprimées sur de fines feuilles de papier, puis collées au mur avec des bouts de scotch, comme autant de briques qui dessinent maladroitement la maison dont on rêvait. Kometa est là, face à nous.
Être face au mur, dans cet atelier à Paris, c’est émouvant. C’est terrifiant aussi. Je me souviens de mon premier mur. J’avais 25 ans, je venais d’arriver à la revue XXI nouvellement créée. Patrick de Saint-Exupéry, son co-fondateur avec Laurent Beccaria, accrochait les pages comme des talismans qu’il déplaçait jusqu’à être certain que leur organisation faisait sens : «Est-ce qu’on met Tarzan et Jane au Pakistan avant ou après les retrouvailles de deux cousins à Beyrouth?». Il repensait les titres, demandait à changer un dessin. C’était artisanal, et cet artisanat donnait au métier de journaliste une forme de magie. On était en 2009, Instagram n’existait pas.
Quinze ans plus tard, alors que nous consommons toutes et tous l’information sur nos écrans et que le prix du papier a flambé, créer une revue sans publicité est un pari presque aussi fou que celui de capturer une étoile. Et pourtant, nous croyons à cet objet qui permet de lire autrement ces nouvelles qui filent trop vite. Imprimer des mots, c’est les garder longtemps.
Nous partageons ici quelques coulisses en images et une confidence : à 24 heures du bouclage, nous n’avons toujours pas trouvé notre couverture. Nous avons l’air détendu mais n’oubliez pas que parfois les photos mentent. Demain soir, Kometa partira tourner en orbite dans les rotatives d’un imprimeur de Vendée. Et nous, on défera le mur en imaginant déjà le prochain.
Léna Mauger