Kometa a failli porter un autre nom. Un nom qui sonnait bien, mais disait aussi beaucoup des idées reçues et des projections occidentales, à oublier pour passer à l'Est.
Parce que tout commence quelque part, Kometa a d’abord été un projet, une idée, avec un nom de code : Potemkine. On aimait ce mot qui sonnait bien. Trois syllabes, un k chantant et l’évocation d’une scène mythique du cinéma: un enfant en pleurs dans un landau dévalant les escaliers d’Odessa sous le feu des soldats, travelling de six minutes du Cuirassé Potemkine de Sergueï Eisenstein. Ce film de commande du parti communiste en 1925 célébrait l’un des premiers mouvements de révolte à l’origine de la chute du régime tsariste.
Potemkine, c’était pour nous du cinéma, un imaginaire, un nom qui disait l’envie de faire découvrir un territoire et des histoires méconnues. Une histoire de résistance aussi, celles de marins contre l’injustice. En temps de guerre, c’était aussi une référence aux «villages Potemkine», c’est-à-dire la propagande fabriquée, surtout en temps de guerre, pour masquer la réalité.
Fake news version XVIIIe siècle
On raconte que pour cacher la pauvreté des villages de Crimée lors de la visite de l'impératrice Catherine II en 1787, son ministre Grigory Aleksandrovich Potemkine aurait fait ériger des façades en carton-pâte - une légende réfutée par les historiens. La version XVIIIe siècle de la fake news!
Le maréchal Potemkine, nobliau devenu ministre, prince et amant de la Grande Catherine, impératrice de toutes les Russies, est un personnage sorti d’un roman d’aventures. «Vous êtes à l’État, vous êtes à moi», lui écrivit la fougueuse impératrice qui, caressant le rêve de rebâtir l’Empire byzantin, demanda à son favori de marcher contre les Turcs, d’ouvrir des détroits, de conquérir des territoires comme le sud de l’Ukraine, dont la Crimée.
Du romanesque à l'insulte
La revue Potemkine? Les premiers écrivains français auprès desquels nous avons testé ce nom le trouvaient romanesque. Les Russes aussi. Les Ukrainiens, eux, l’ont d’emblée pris comme une insulte. Jamais ils n’écriraient dans les pages d’une revue au nom pareil.
Car l’histoire n’est pas terminée: la mémoire du Prince Potemkine, terrassé par la maladie à 52 ans en revenant d’une énième ville conquise, est aujourd’hui convoquée par le président russe en personne. Dès 2014, dans son adresse à la nation, Vladimir Poutine cite les victoires du maréchal pour justifier l’annexion de la Crimée.
Le chef du Kremlin fait à nouveau référence à Potemkine le 30 septembre 2022, lors de la cérémonie censée entériner, à Moscou, l’annexion de quatre nouvelles régions ukrainiennes, Donetsk, Kherson, Louhansk et Zaporijia. Un mois plus tard, juste avant le retrait de l’armée russe de la ville, un commando du Kremlin vole les ossements de Potemkine dans une crypte de la cathédrale Sainte-Catherine de Kherson.
Bataille perdue
En deux mots, Potemkine était un colonisateur. Inacceptable alors que la guerre russe en Ukraine a tant de relents impérialistes. Ce destin d’un prince russe et cette réécriture de l’histoire vous seront racontés au long cours dans Kometa par le journaliste et écrivain Christophe Boltanski. En attendant, Potemkine a perdu sa bataille du titre, au profit de Kometa.
Kometa signifie comète en ukrainien, en russe, en tchèque, en macédonien, en croate, en tadjik, en tatar, en letton, en kirghize, et dans bien d’autres langues, comme l’hawaïen. Kometa est un mot qui rassemble. Dans l’Antiquité, le passage d’une comète était annonciateur d’un évènement : Kometa est aussi un nom qui raconte l’inattendu, ce qui bouge et ce qui change. Ce qu’il reste à découvrir et à comprendre. Bienvenue sur notre comète.