Alexander Gronsky est un homme discret. Photographe russe né à Tallinn, en Estonie, il arpente Moscou depuis 15 ans, quatre à six heures par jour, pour capturer les images de sa ville et sa poésie absurde. Une exploration intuitive qui ressemble à un journal intime. Gronsky, 43 ans, est fasciné par la capitale russe depuis son enfance soviétique, époque à laquelle il y passait chaque année pour se rendre en vacances dans la famille de sa mère.
Quand on lui dit que ses images semblent raconter le silence, la solitude et la peur, il ne dément ni ne confirme. «J'aime que le spectateur réagisse avec ses émotions, c'est important. Mais je ne pense pas qu'une émotion particulière puisse être inscrite dans l'image. C'est au spectateur de faire l'effort de ressentir et d'expliquer.»
Cette photographie de lévriers dans la neige, prise en 2009 à Ioujnoïe Touchino, dans la banlieue nord-ouest, est tirée d’une série intitulée «The Edge», la lisière. À cette époque, Alexander Gronsky documentait l’urbanisme des confins de Moscou, entre ville et campagne, là où les gens se promènent, errent ou s’amusent. Gronsky est un photographe de paysages, mais il y a toujours une touche de vie dans ses images, à l’instar des tableaux de Nicolas Poussin ou des grands maîtres italiens du XVIe siècle. «The Edge» raconte ainsi la petite histoire dans la grande; ces deux lévriers colorés humanisent, si l’on peut dire, le brutalisme des tours d’habitation de ce «raion» de Moscou.
Cette photo a failli faire la Une de Kometa. Sa beauté froide nous avait conquis, avant d’être détrônée peu avant le bouclage par le soldat ukrainien d’Odessa de Yelena Yemchuk. Alors nous avons choisi d’imprimer les lévriers de Gronsky en cartes et en affiches, pour nos abonnés.
Représenté en France par la galerie Polka, Alexander Gronsky refuse de faire de la politique, mais a offert plusieurs de ses œuvres en échange de dons à des organisations humanitaires qui travaillent en Ukraine. Depuis l’invasion de l’Ukraine, il capture les messages de propagande pro-guerre dans le centre de Moscou. Vous pourrez découvrir ce travail dans son portfolio du premier numéro de Kometa. Il pense que très bientôt, les Russes voudront «oublier et effacer» l’époque actuelle et qu’il est de son devoir de documenter ce qu’il voit. «Nous avons besoin d’archives appropriées pour les générations futures.»