La photographe Oksana Yushko a grandi à Kharkiv, en Ukraine, à une demi-heure de la frontière russe. Son père est ukrainien, sa mère russe. Quand elle était enfant, on ne parlait pas de «couples mixtes»: les histoires d’amour et de famille entrelacées sur les territoires qui formaient l’URSS se comptaient en millions. Oksana s’est installée à Moscou et a reproduit le modèle familial en épousant un Ukrainien. Après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, elle a commencé une série personnelle, «Familia», sur les couples qui leur ressemblaient: un travail qui a pris une tout autre dimension avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. «Aujourd’hui, mon mari et moi sommes ostracisés par les deux communautés. Nous avons fini par nous exiler en Géorgie.» Comment s’aimer quand on appartient à deux camps devenus ennemis?
Nous venons de boucler le numéro 2 de Kometa. Les images d’Oksana Yuschko y accompagnent un récit exceptionnel d’Emmanuel Carrère, parti à Kyiv et à Kherson explorer les ressorts d’une position de principe: tant que la guerre n’est pas finie, que la Russie reste invaincue, de nombreux Ukrainiens refusent de côtoyer des Russes. Même opposants à Poutine, même antiguerre, même exilés de longue date. Ce numéro 2 s’appelle «Liaisons dangereuses», une thématique qui a, elle aussi, pris une tout autre dimension avec l’actualité.
L'ami d'hier, l'ennemi d'aujourd'hui
Au lendemain de l’attaque terroriste du Hamas en Israël et de la réaction vengeresse d'ampleur inédite de Benyamin Netanyahou à Gaza, la guerre russe en Ukraine est passée sous les radars médiatiques. En l’espace de quelques heures, elle a paru être une guerre du passé. Il a fallu des semaines pour dépasser l’émotion, la sidération, les divisions, et comprendre, en rouvrant les livres d’histoire et les manuels de géopolitique, que ce qu’il se passe à Jérusalem n’est pas délié de ce qu’il se décide à Moscou. Un citoyen israélien sur sept est d'origine russe, tandis que le conflit a fait fortement augmenter l'immigration ukrainienne et russe en Israël en 2022. Complice de Benyamin Netanyahou, Vladimir Poutine s’est pourtant affiché avec les dirigeants du Hamas après le 7 octobre et a proclamé son soutien à Gaza. En coulisses, en silence, les histoires de milliers de familles éclatées, exilées au fil des décennies et des tragédies, se répondent d’un pays à l’autre.
L'ami d’hier peut être l’ennemi d’aujourd’hui, et inversement, révélant des logiques d’inégalité et de domination. Les liaisons dangereuses de ce deuxième numéro de Kometa révèlent les multiples strates formées par le présent et le passé. Ce numéro 2 vous parlera donc de meilleurs et de pires ennemis avec Emmanuel Carrère, de langue maternelle avec Salomé Kiner, de gestes de tendresse avec Mathieu Palain et Valery Poshtarov, de pardon avec le Polonais Witold Szabłowski, de Roméo et Juliette post-soviétiques avec la prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch... mais aussi de diplomatie spatiale avec Cédric Gras, de petits fours et d’armes de guerre, de littérature à Beyrouth et Téhéran, de soutien des Taïwanais aux Ukrainiens, et toujours de musique avec Michka Assayas.
Des histoires de pays et de cœurs brisés, de légendes de l’Histoire et de héros ordinaires. Hâte de les partager avec vous. Rendez-vous le 24 janvier en librairie. Et avant, si vous vous abonnez ou abonnez vos proches pour les fêtes de fin d’année.