En Hongrie, avant les élections la propagande gouvernementale parlait en boucle d'une prise de contrôle totale de l'Union européenne par l'extrême droite. Nous nous attendions donc au pire.
La scène politique hongroise a été plutôt secouée. Une nouvelle force de centre-droit a fait irruption: le parti Tisza, dirigé par Péter Magyar, un ancien cadre du Fidesz, le parti de Viktor Orbán, et ex de Judit Varga, l'ancienne ministre de la justice. Prenant un virage à 180° en affrontant le Fidesz et les autres partis, Tisza est devenu la première force de l'opposition, avec 30 % des voix. Les Hongrois ont été soulagés d’avoir enfin une autre option: le Fidesz a remporté les élections, mais sa position est un peu ébranlée. Il semble désormais avoir un adversaire plus sérieux qu'auparavant… Magyar a deux ans jusqu'aux prochaines élections générales pour continuer sur sa lancée. Mais sera-t-il capable de se défaire de ses habitudes autocratiques?
L’ambiance est donc un mélange d'inquiétude et d'optimisme prudent: beaucoup pensent que tout vaut mieux que Orbán, mais d'autres craignent que Magyar n’en soit qu'une version plus jeune et plus assoiffée de pouvoir. Mais je constate que les résultats de l'extrême droite en Autriche, en Allemagne et en France sont très inquiétants.
Orbán et son parti avaient prédit un virage à l’extrême droite en Europe. Il y a deux ans, la banque hongroise MKB a accordé un prêt de plus de 10 millions d’euros au Rassemblement national. Donc bien sûr, le Fidesz est ravi. Mais lui aussi a été surpris de voir l'extrême droite devenir aussi puissante en France. Vos élections anticipées ont été un choc pour tout le monde.
J'étais récemment à Paris, et mes amis m'ont parlé de la possibilité d’une tempête politique, idéale pour l’extrême droite. On a globalement oublié que la raison d'être de l’Union européenne est d'empêcher les effusions de sang: c’est un miracle que nous ayons pu arrêter de nous entretuer depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale! Comme l'a montré le conflit sanglant et brutal en Yougoslavie, et maintenant en Ukraine, l’UE est vraiment le seul garant de la paix.
Pour moi, le fait que les questions économiques fassent oublier cela aux gens et les poussent à se tourner vers l'extrême droite est une tragédie. La liberté et la prospérité de l'UE ne doivent pas être considérées comme acquises, surtout à l'heure où la Russie tente activement de détruire l'Union européenne de l'intérieur. Depuis les premières guerres de Yougoslavie, j’ai été hanté par des visions de guerre en Europe. Bon nombre de mes histoires se déroulent dans une UE fictive, déchirée par la guerre. Alors maintenant que je vois ce danger se rapprocher de plus en plus, je suis tourmenté par mes propres présages. Je sais que ça peut sembler tiré par les cheveux, mais j'ai grandi en m’exerçant à me cacher sous la table en cas d'attaque nucléaire. Je suis donc habitué à des visions assez sombres de l’avenir…
Avec la guerre en Ukraine, les liens de l'extrême droite française avec la Russie, la menace de l’élection de Trump et donc l’éventuelle sortie des États-Unis de l’OTAN, je vois un réel danger de catastrophe. Il ne faut pas oublier qu'Orbán a fait sa carrière politique en rejoignant la lutte contre les Soviétiques en 1989 et qu'il a été farouchement anti-russe jusqu'en 2008, date à laquelle il a fait volte-face, en devenant un allié inconditionnel de Poutine. Personne n'en comprend vraiment les raisons, mais je pense que cet exemple devrait inquiéter tout le monde. Si Trump parvient à réaliser son rêve, la France sera la seule puissance nucléaire de l'UE et le seul véritable contrepoids aux menaces russes. Imaginez ce pouvoir exercé par un gouvernement d'extrême droite et prenez un peu de temps pour réfléchir à ce que cela implique.
L'extrême droite ne respecte jamais les règles. Ou plutôt, elle respecte ses propres règles: elle parle de démocratie, mais elle pense à l'autocratie, et à la première occasion elle changera les règles pour les tourner en sa faveur. En Hongrie, le système d'équilibre des pouvoirs est presque effacé, la Constitution est constamment réécrite, avec treize modifications en autant d'années. Les médias d'État diffusent de la propagande, l'argent des contribuables est siphonné pour des fondations utilisées sans pitié pour modifier et manipuler le marché libre. C’est un combat sans issue, où l’arbitre regarde ailleurs.
Il suffit de regarder la Pologne et la Hongrie, ainsi que le Parti républicain aux États-Unis, pour comprendre l'extrême droite. Si elle arrive au pouvoir, la démocratie sera vraiment en danger, et ne pensez pas que c'est impossible en France. La Hongrie est comme un laboratoire expérimental: malheureusement, les recettes créées et affinées ici ces dernières années fonctionneront n'importe où. Certains de vos politiques voudraient bien les mettre en œuvre s'ils le pouvaient. Le pouvoir absolu est une grande tentation, peu sont capables d'y résister, surtout s'il est alimenté par la corruption. Ne vous faites pas avoir.
Dernier livre paru de György Dragomán: un recueil de nouvelles, Le chœur des lions (traduit par Joëlle Dufeuilly, Gallimard)
Pour le prochain numéro de Kometa (à paraître le 5 septembre), György Dragomán a entamé une correspondance avec l’écrivaine française Hélène Gaudy. En attendant, vous pouvez découvrir la correspondance du n°3, qui vient de sortir: entre les écrivaines Sedef Ecer (Turquie) et Milana Terloeva (Tchétchénie)