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Bonjour, c'est György Dragomán. Né en 1973, j'ai grandi en Roumanie sous Ceaușescu et je vis en Hongrie sous Orbán. Autant vous dire que je m'y connais en régimes autoritaires. Quelques jours après les élections européennes et l'annonce d'élections législatives en France, j'aimerais dire quelques mots aux Français.

Egalement dans «A l'Est, du nouveau» aujourd'hui:

  • Comme chaque semaine, un conseil culturel, celui de György Dragomán

  • La photo de la semaine vous emmène en Chine: une image sauvée de la destruction

  • Et l'agenda de la revue


Françaises, Français, ne vous faites pas avoir!

Manifestation contre le gouvernement Orbán à Budapest, le 24 avril 2023. Au centre, la militante Lili Pankotai (dans Kometa n°2) | © Bankó Gábor/44

En Hongrie, avant les élections la propagande gouvernementale parlait en boucle d'une prise de contrôle totale de l'Union européenne par l'extrême droite. Nous nous attendions donc au pire.

La scène politique hongroise a été plutôt secouée. Une nouvelle force de centre-droit a fait irruption: le parti Tisza, dirigé par Péter Magyar, un ancien cadre du Fidesz, le parti de Viktor Orbán, et ex de Judit Varga, l'ancienne ministre de la justice. Prenant un virage à 180° en affrontant le Fidesz et les autres partis, Tisza est devenu la première force de l'opposition, avec 30 % des voix. Les Hongrois ont été soulagés d’avoir enfin une autre option: le Fidesz a remporté les élections, mais sa position est un peu ébranlée. Il semble désormais avoir un adversaire plus sérieux qu'auparavant… Magyar a deux ans jusqu'aux prochaines élections générales pour continuer sur sa lancée. Mais sera-t-il capable de se défaire de ses habitudes autocratiques?

L’ambiance est donc un mélange d'inquiétude et d'optimisme prudent: beaucoup pensent que tout vaut mieux que Orbán, mais d'autres craignent que Magyar n’en soit qu'une version plus jeune et plus assoiffée de pouvoir. Mais je constate que les résultats de l'extrême droite en Autriche, en Allemagne et en France sont très inquiétants.

Orbán et son parti avaient prédit un virage à l’extrême droite en Europe. Il y a deux ans, la banque hongroise MKB a accordé un prêt de plus de 10 millions d’euros au Rassemblement national. Donc bien sûr, le Fidesz est ravi. Mais lui aussi a été surpris de voir l'extrême droite devenir aussi puissante en France. Vos élections anticipées ont été un choc pour tout le monde.

J'étais récemment à Paris, et mes amis m'ont parlé de la possibilité d’une tempête politique, idéale pour l’extrême droite. On a globalement oublié que la raison d'être de l’Union européenne est d'empêcher les effusions de sang: c’est un miracle que nous ayons pu arrêter de nous entretuer depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale! Comme l'a montré le conflit sanglant et brutal en Yougoslavie, et maintenant en Ukraine, l’UE est vraiment le seul garant de la paix.

Pour moi, le fait que les questions économiques fassent oublier cela aux gens et les poussent à se tourner vers l'extrême droite est une tragédie. La liberté et la prospérité de l'UE ne doivent pas être considérées comme acquises, surtout à l'heure où la Russie tente activement de détruire l'Union européenne de l'intérieur. Depuis les premières guerres de Yougoslavie, j’ai été hanté par des visions de guerre en Europe. Bon nombre de mes histoires se déroulent dans une UE fictive, déchirée par la guerre. Alors maintenant que je vois ce danger se rapprocher de plus en plus, je suis tourmenté par mes propres présages. Je sais que ça peut sembler tiré par les cheveux, mais j'ai grandi en m’exerçant à me cacher sous la table en cas d'attaque nucléaire. Je suis donc habitué à des visions assez sombres de l’avenir…

Avec la guerre en Ukraine, les liens de l'extrême droite française avec la Russie, la menace de l’élection de Trump et donc l’éventuelle sortie des États-Unis de l’OTAN, je vois un réel danger de catastrophe. Il ne faut pas oublier qu'Orbán a fait sa carrière politique en rejoignant la lutte contre les Soviétiques en 1989 et qu'il a été farouchement anti-russe jusqu'en 2008, date à laquelle il a fait volte-face, en devenant un allié inconditionnel de Poutine. Personne n'en comprend vraiment les raisons, mais je pense que cet exemple devrait inquiéter tout le monde. Si Trump parvient à réaliser son rêve, la France sera la seule puissance nucléaire de l'UE et le seul véritable contrepoids aux menaces russes. Imaginez ce pouvoir exercé par un gouvernement d'extrême droite et prenez un peu de temps pour réfléchir à ce que cela implique.

L'extrême droite ne respecte jamais les règles. Ou plutôt, elle respecte ses propres règles: elle parle de démocratie, mais elle pense à l'autocratie, et à la première occasion elle changera les règles pour les tourner en sa faveur. En Hongrie, le système d'équilibre des pouvoirs est presque effacé, la Constitution est constamment réécrite, avec treize modifications en autant d'années. Les médias d'État diffusent de la propagande, l'argent des contribuables est siphonné pour des fondations utilisées sans pitié pour modifier et manipuler le marché libre. C’est un combat sans issue, où l’arbitre regarde ailleurs.

Il suffit de regarder la Pologne et la Hongrie, ainsi que le Parti républicain aux États-Unis, pour comprendre l'extrême droite. Si elle arrive au pouvoir, la démocratie sera vraiment en danger, et ne pensez pas que c'est impossible en France. La Hongrie est comme un laboratoire expérimental: malheureusement, les recettes créées et affinées ici ces dernières années fonctionneront n'importe où. Certains de vos politiques voudraient bien les mettre en œuvre s'ils le pouvaient. Le pouvoir absolu est une grande tentation, peu sont capables d'y résister, surtout s'il est alimenté par la corruption. Ne vous faites pas avoir.

Dernier livre paru de György Dragomán: un recueil de nouvelles, Le chœur des lions (traduit par Joëlle Dufeuilly, Gallimard)

Pour le prochain numéro de Kometa (à paraître le 5 septembre), György Dragomán a entamé une correspondance avec l’écrivaine française Hélène Gaudy. En attendant, vous pouvez découvrir la correspondance du n°3, qui vient de sortir: entre les écrivaines Sedef Ecer (Turquie) et Milana Terloeva (Tchétchénie)


La recommandation de György Dragomán

Le meilleur film pour comprendre mon pays? Il faut savoir que les films contemporains avec des commentaires sociaux se sont raréfiés parce que les changements dans le système de financement des films favorisent maintenant les épopées historiques. Voici un film grotesque, légèrement brutal mais drôle, que j'ai aimé, datant d'il y a trois ans, Kilakoltatás («Expulsion») de Máté Fazekas.


La photo de la semaine

«Beijing Silvermine» | © Thomas Sauvin 

Voici une photographie sauvée de l’oubli. Depuis 2009, l’artiste et collectionneur français Thomas Sauvin fouille les marchés aux puces, le Web ou les déchets dans l'espoir de récupérer des négatifs destinés à la destruction. Dans une usine de recyclage dans la banlieue de Pékin, il découvre des sacs de photos au kilo qu’il trie, classe et restaure. A partir de là, il a constitué l’un des plus importants fonds d’archives sur la Chine contemporaine: «Beijing Silvermine». Une collection qui rassemble aujourd'hui plus d’un million de photographies anonymes, révélant la vie quotidienne de la classe moyenne chinoise.

Cette image, et d’autres encore, accompagnent «Une contre-historie de la Chine», un récit dans le nouveau numéro de Kometa. Jiang Xue, la journaliste chinoise et «historienne underground», s’est confiée au journaliste Phillippe Grangereau. Un récit qui raconte le courage d’une nouvelle génération qui lutte pour faire revivre le passé censuré de son pays.


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Née du choc du retour de la guerre sur le continent européen, Kometa raconte le monde partout où il bascule, de l’intérieur, à travers les regards de celles et ceux qui le vivent. La revue fête sa première année et grandit grâce à vous, en passant de 4 à 6 numéros par an en 2025.

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L'agenda

22 ET 23 JUIN

Festival du livre photographique de Genève

Kometa sera au jeune et vif Festival du livre photographique, à Genève, pour présenter notre 3e numéro et parler du rapport que notre revue veut installer entre le texte et l'image. Une conférence à suivre le dimanche 23 juin à 15h, introduite par Danaé Panchaud, directrice du Centre de la photographie.

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