Cette email est un email de kometa
Logo kometa de couleur noire

Bonjour, c'est Philippe Grangereau. Après avoir longtemps été correspondant en Chine, j'ai co-réalisé le documentaire La Grande Famine de Mao.

Pour Kometa, j'ai rencontré une nouvelle génération d'historiennes et d'historiens qui remettent en cause le récit officiel du pouvoir chinois. Ici, je vous raconte pourquoi je m'y suis intéressé, 40 ans après mes premiers pas dans le pays.

A découvrir également dans cette newsletter: les séries de l'été de Kometa


«On connaît bien un pays seulement quand on sait d'où il vient»

Pour sa série «Beijing Silvermine», Thomas Sauvin a sauvé de la destruction près d'un million de photos anonymes chinoises | © Thomas Sauvin

Je me suis mis à apprendre le chinois en 1978, d'abord à l’Université Paris VII, puis en Chine, à l’université du Shandong, où j’ai passé deux ans à découvrir la littérature chinoise contemporaine.

Claquemuré pendant trente ans, le pays était alors d’une indigence telle que les gens flottaient dans leurs vêtements. Tout était rationné, du tissu à l’huile. Le lait, introuvable, était réservé aux malades. Les cours d’histoire et de littérature que je suivais livraient une version du passé qui me semblait douteuse. Mais dans l'amphi, on ne pouvait poser aucune question.

L’un de mes livres de cours de littérature comportait une photo truquée du dramaturge irlandais George Bernard Shaw rendant visite à Shanghai, en 1933, à l’illustre écrivain Lu Xun. Le philosophe anti-communiste Lin Yutang avait été habilement «effacé» du cliché original. Je le fis remarquer à l’un de mes professeurs, qui me laissa entendre qu’il gardait subtilement le silence sur certains sujets.

J’ai compris que la Chine avait beaucoup de choses à cacher, et j’avais envie de les découvrir. C’est ainsi qu'en 1985, je suis devenu journaliste pour différents journaux. Je me suis toujours intéressé à l’histoire, car on connaît un pays seulement quand on sait d'où il vient.

Dans le 3e numéro de Kometa, je raconte la falsification de l’histoire par le pouvoir communiste de Chine populaire. La «réécriture de l’histoire» chinoise a commencé, pour simplifier, à la fondation de la république populaire de Chine, en octobre 1949. Elle déteint sur quatre ou cinq générations. Certains événements sont montés en épingle, d’autres passés sous silence, d’autres encore sont devenus totalement tabous. Par exemple, la Révolution culturelle (1966-1976), ou le massacre par l’armée des manifestants du mouvement pro-démocratique de Tian’anmen, en juin 1989.

Ces manifestations rassemblant des millions de personnes s’étaient étendues sur tout le territoire chinois et avaient duré deux mois et demi. Il se trouve que j’ai couvert leur tragique dénouement pour le journal Libération, au milieu des balles qui sifflaient. Je sais donc de quoi je parle. Or, à plusieurs reprises entre 2010 et 2019, je me suis trouvé en face de jeunes chinois hyper sympas, mais totalement incrédules face à mon témoignage. Il fallait que je leur montre des photos de moi au milieu du massacre pour dissiper les fortes doses de propagande qu'ils avaient ingérées depuis l’enfance. Pour certains, le formatage était tel qu’ils refusaient d’accorder crédit à ce qui était pour eux une sorte de chose impossible. Et ce n’est qu’un exemple. 

Pour l’essentiel, les Chinois ignorent leur propre histoire. Ils se sont bâti une identité frelatée sur la base d’une version manipulée des faits historiques propagée par un Parti communiste chinois, qui dispose d’un monopole presque total sur l’information.

Autre événement historique devenu tabou: la Grande famine, provoquée par les politiques collectivistes de Mao Zedong entre 1958 et 1962. Les autorités ôtaient le pain de la bouche des paysans pour nourrir les citadins et exporter des céréales à l’étranger. Le but: importer d'URSS des usines sidérurgiques clé en main. Selon les historiens, entre 36 et 45 millions de personnes ont péri.

Cette famine — la plus inouïe que la planète ait connue — est presque passée inaperçue à l’époque, car le pays était entièrement fermé. Les seules personnes autorisées en Chine étaient des sympathisants du pouvoir, qu’on menait par le bout du nez dans le cadre de visites guidées bien encadrées. Même François Mitterrand, qui passa un mois en Chine en 1961 (il était maire de Château-Chinon), n’y a vu que du bleu.

Ce n’est qu’en 1982 que la Grande famine de Mao fut redécouverte. Cette année-là, Pékin publia les données de son recensement de population. Des démographes américains eurent l’idée de comparer ces chiffres avec ceux du précédent de 1954. Grâce à l’informatique, nouveau à l’époque, leurs projections montraient sans ambiguïté un «trou» d'environ 50 millions de personnes. Les autorités chinoises se mordirent les doigts d’avoir publié ces données. Elles avaient naïvement fourni au monde les preuves de ce qu’il faut bien appeler un crime.

C’est à partir de là que des historiens chinois et étrangers se penchèrent sur cette politique délibérée de Mao: affamer les campagnes pour nourrir les villes. Néanmoins, les Chinois dans leur ensemble n’en ont pratiquement jamais rien su. Aujourd’hui, la censure règne partout: dans la presse, les manuels scolaires, et bien sûr les réseaux sociaux.

Le récit de Philippe Grangereau, «Une contre-histoire de la Chine», est à lire dans le 3e numéro de Kometa, «Fabriquer l'oubli», toujours en librairie ou sur commande. Et en ligne pour nos abonnés


Philippe Grangereau recommande…

Que lire pour mieux comprendre les manipulations de la mémoire en Chine? Un livre paru en anglais il y a dix ans, The People’s Republic of Amnesia («La république populaire de l’amnésie», Oxford University Press, 2014, non traduit). Née à Hong-Kong, la journaliste Louisa Lim explore la réécriture de l'histoire en république populaire de Chine. «Certes, écrit-elle, tous les pays construisent leur propre récit national. Mais aucun autre pays n'est parvenu, ce faisant, à mobiliser un nationalisme aussi puissant et émotionnel, et nulle par ailleurs qu'en Chine le pouvoir dispose d'une capacité aussi incomparable à punir ceux qui mettent en cause ce récit».


Le regard de Kometa

Série «Superdogan» | © Nicolas Righetti

Au sol, une affiche géante froissée. Les traits de l'homme représenté sont métamorphosés. La moustache, l'oreille et les dents blanches donnent des indices sur l'identité du pauvre chiffonné… comment Recep Tayyip Erdoğan s'est-il retrouvé dans pareille situation?

C'est en découvrant l'existence de jeunes triplés, prénommés par leurs parents Recep, Tayyip et Erdoğan que Nicolas Righetti a eu l'idée de déconstruire la mégalomanie du président turc, au pouvoir depuis 20 ans. Dans son livre Superdogan (éditions Noir sur Blanc, 2023), le photographe suisse traque les traces d'un culte personnel qui parsème Istanbul.

Cette image accompagne la correspondance menée par les écrivaines Sedef Ecer et Milana Terloeva, entre Turquie et Tchétchénie. A lire en ligne ou dans le numéro en cours.

Les 2 séries de l'été

En récit et en images, la newsletter de Kometa prend ses quartiers d'été avec 2 séries. A partir du 25 juillet, chaque jeudi à 18h

  • «Mon appartement fantôme». Parce qu'il parie sur l'avenir de l'Ukraine et qu'il aime ce pays, notre directeur de la publication, Serge Michel, a acheté un petit appartement à Mykolaïv, une ville située entre Kherson et Odessa. Mais une fois sur place pour signer l'achat et repeindre les murs, les surprises se multiplient. Tout l'été, suivez ses aventures d'Helvète intrépide.
  • «Ce qui nous manque». L'art de la photographie fait réapparaître ce qui, à peine le cliché pris, a déjà disparu. En une image de leur choix, Szabolcs Barakonyi (Hongrie), Tatsiana Tkachova (Bélarus), Martin Kollar (Slovaquie), Elena Chernyshova (Russie), Valéry Poshtarov (Bulgarie) et Oksana Yushko (Ukraine) racontent un moment, un lieu, une personne, un objet qu'ils aimeraient retrouver. Une série de 6 voyages à travers la mémoire et les mondes de l'Est.

Kometa, ça vous dit?

Abonnez-vous à la revue: chaque trimestre, le nouveau numéro dans votre boîte aux lettres. Et en ligne sur kometarevue.com, le contenu des précédents

A propos de Kometa

Née du choc du retour de la guerre sur le continent européen, Kometa raconte le monde partout où il bascule, de l’intérieur, à travers les regards de celles et ceux qui le vivent. La revue fête sa première année et grandit grâce à vous, en passant de 4 à 6 numéros par an en 2025.

En vous abonnant, vous soutenez des autrices et des auteurs en résistance et un journalisme indépendant de qualité. Retrouvez tous les deux mois dans une belle revue papier des grands récits littéraires, des photos d’auteurs et des débats d'idées, et suivez-nous chaque semaine dans notre newsletter et chaque jour sur nos réseaux. Merci d'être à nos côtés!

L'agenda

Tout l'été

Expo Photo à Ici Librairie

Nouveaux regards, angles inattendus... cet été, la photo de Kometa s'expose au 25 bd Poissonnière (Paris IIe), où vous pouvez trouver aussi le numéro en cours


Du 15 juillet au 30 août

Jeu concours

À la plage, dans le train, à la sortie du bureau ou chez mamie… Kometa vous accompagne sur la route de l'été. Identifiez @kometafr en prenant la revue en photo (plutôt en publication qu’en story, ce serait dommage de vous rater). L'auteur du plus beau cliché gagne un abonnement de 6 mois, à partir du numéro de la rentrée. Délibération en septembre!

Recommandez Kometa
à vos amis

Partager sur les réseaux sociaux

Suivez chaque semaine
le développement de Kometa

Logo kometa de couleur noire

8 rue Saint Marc, 75002 Paris

icon facebook icon linkedin icon twitter icon instagram

Vous souhaitez nous contacter, contact@kometarevue.com.

©Copyright 2023 Kometa

Se désinscrire