Cette email est un email de kometa
Logo kometa de couleur noire

Bonjour je m'appelle Bartosz,

Je suis journaliste et rédacteur en chef adjoint du quotidien polonais Gazeta Wyborcza. Aujourd’hui, je me dis que la malédiction chinoise qui nous souhaitait ironiquement de vivre «une époque intéressante» nous a bel et bien rattrapés. J'écris beaucoup sur la politique européenne, sur la défense de l'Ukraine contre l'invasion russe et sur les ennemis de la démocratie en Pologne et en Europe centrale.

L’époque où je pouvais explorer les mécanismes du pouvoir et du crime tout en recherchant des textes sur l’histoire du IIIe Reich me manque. Je n'ai plus le temps pour ça, et pourtant j'ai cette terrible impression que l'histoire du XXe siècle se répète sous nos yeux, avec pour différence que «l'empire du Mal» ne se trouve plus à l'ouest mais à l'est de mon pays.

Cependant, dans cette newsletter, c’est bien de l’Ouest dont je voudrais parler. Et plus précisément des États-Unis.


Bartosz T. Wieliński vous écrit… 

Chaque semaine, Kometa donne la parole à ses auteurs et photographes. Aujourd'hui, entre anniversaire de président et torture, Bartosz T. Wieliński partage ses souvenirs d’enfance.

Quand la CIA torturait en Europe 

1992, le président américain George Bush père se rend à Varsovie en soutien au président polonais Lech Wałęsa un an après la cute de l'URSS. | © Doug Mills (AP/SIPA)

Un jour, j'ai appris par la télévision publique polonaise que le président américain Ronald Reagan venait de fêter son anniversaire. Je ne me souviens plus exactement de l'année, en 1985 ou 1986, à une époque où la Pologne était une dictature communiste grossière: nous n'avions pas de médias libres et la télévision n’était qu’un organe de propagande continue, faisant l'éloge de notre grand frère l'Union soviétique tout en vilipendant l'Occident. Pourquoi la nouvelle de l'anniversaire du président américain honni avait-elle été propagée? Peut-être Reagan avait-il organisé une fête trop extravagante ou raconté une blague antisoviétique? J'avais environ 8 ans à l'époque. Dans l'encyclopédie que j'avais sur mon étagère – la seule source de connaissances disponible –, il n'y avait pas d'entrée pour «Ronald Reagan». Que notre télé de propagande puisse donner la nouvelle de son anniversaire m'avait terrifié.

Happy Birthday Mr President 

J'avais décidé de lui envoyer une lettre d’anniversaire. «Cher M. Reagan, veuillez accepter s'il vous plaît mes vœux les plus chaleureux pour votre anniversaire», avais-je écrit au stylo plume dans un anglais médiocre avec des phrases tirées d'un mini-dictionnaire. J'avais naïvement inscrit sur l’enveloppe «White House, Washington, USA» puis j'avais couru jusqu'au bureau de poste de mon district. Mais au guichet on m'a dit qu'il n'y avait pas de timbres disponibles pour Washington, qu’il fallait se rendre au bureau de poste principal de Katowice (la ville du Sud où j'ai grandi). À l’époque, je ne m’aventurais pas seul dans le centre-ville. La lettre est allée dans le tiroir. Et heureusement: dans la Pologne communiste, la correspondance était contrôlée par la police politique. Une lettre adressée à la Maison Blanche aurait certainement attiré son attention et pu causer divers désagréments à mes parents.

Des rues pavées d'or

J'ai récemment retrouvé cette lettre en fouillant dans mes vieux papiers. Je me dis que ce message simple, écrit de la main d'un enfant, illustre bien l'attitude des Polonais à l'égard des Etats-Unis. Oui, pendant longtemps, elle a été tout aussi naïve. À l'époque du communisme, quand les ogives nucléaires américaines étaient pointées sur la Pologne, la génération de mes grands-parents et de mes parents attendait que les Américains chassent les Soviétiques et libèrent notre pays. Les États-Unis étaient l'incarnation du paradis sur terre. Lorsque j'ai écrit la lettre à Reagan, je pensais que les rues de Washington étaient pavées d'or. J'y suis allé vingt ans plus tard. Je n'ai pas été surpris (et le mot est faible) de constater que les choses étaient bien différentes de ce que j'avais imaginé dans mon enfance…

Mon récit dans Kometa
Double page du récit de Bartosz T. Wieliński, à lire dans «Qui aime encore les États-Unis?», Kometa n°4 | © Kometa / Photographie INTERPRESS/SIPA

Dans le dernier numéro de Kometa  je décris comment l'illusion polonaise de l'Amérique a conduit à de nombreuses déceptions après que mon pays a recouvré sa souveraineté en 1989. Les Américains – comme on pouvait s'y attendre – ont profité de nous et ne nous ont pas traités comme les partenaires que nous voulions tant être.

Vous vous souvenez du célèbre film Zero Dark Thirty, de Kathryn Bigelow (2012), une version inventée de la traque d'Oussama Ben Laden par la CIA? On y voit une scène avec la légende «CIA Dark site. Gdansk Poland» et des plans montrant le véritable port de Gdańsk. À bord d'un navire, un agent de la CIA interroge un terroriste capturé. Ces scènes se sont déroulées en Pologne, non pas à Gdańsk, mais à Stare Kiejkuty, un village situé à quelque 250 km plus à l'est. Cette prison secrète de la CIA, dont nous avons appris l'existence quelques années après sa fermeture, a jeté une ombre sur les relations polono-américaines. Nous avons cessé de regarder les États-Unis avec des lunettes roses. Mais nous aimons toujours les Américains. La Russie à notre porte ne nous laisse pas le choix…


L’info que j’ai retenue pour vous

C'est une question à laquelle la presse polonaise, mais aussi les collaborateurs de Donald Trump et de Kamala Harris réfléchissent depuis plusieurs semaines. Il y a 800 000 immigrés polonais et leurs descendants qui vivent dans des États clés comme le Michigan et la Pennsylvanie. Ils peuvent faire basculer l’élection d’un côté ou de l’autre.

C'est pourquoi Kamala Harris a réalisé une vidéo électorale sur l'importance de la Pologne en Europe et sur l'aide américaine à l'époque de la guerre en Ukraine. Et Donald Trump a accordé une interview à la télévision polonaise d'extrême droite. Une telle attention fait du bien à l'ego polonais. Bien sûr, lorsqu'il s'agit de Polonais vivant en Pologne…

Car la réalité ne correspond pas aux chiffres. Les Polonais aux États-Unis ne sont pas un monolithe comme les Irlandais, par exemple. Ils ne peuvent être persuadés par un seul appel ou un seul geste. Ils sont aussi divisés que les Américains ou que leurs compatriotes européens. Et vu de Pologne, cette drague à l’électeur d’origine polonaise est vue assez pas mal de réticence. 


La figure historique que j’ai retenue pour vous

Connaissez-vous Tadeusz Kościuszko? C'était un ingénieur militaire polonais qui, au XVIIIe siècle, s'est battu pour l'indépendance des États-Unis. Il a contribué à la construction de fortifications qui ont permis de remporter des batailles décisives contre les soldats britanniques. En reconnaissance de ses mérites, il devint général de l'armée américaine.

De retour en Pologne, Kościuszko mène une insurrection contre les Russes, qui veulent prendre le contrôle du pays. Malgré des victoires initiales, il échouera cette fois-ci. Mais il reste encore aujourd’hui le symbole de l'alliance polono-américaine.


Une raison d’espérer

Une start-up polonaise de Wrocław veut révolutionner la production d'électricité. Elle prévoit d'exploiter la puissance du vent en utilisant des cerfs-volants, censés être plus efficaces que les éoliennes. À l'heure du changement climatique, il s'agit là d'une rare bonne nouvelle.


Un livre à offrir

Je recommande l'ouvrage d'Anne Applebaum, Autocracy Inc.: The Dictators Who Want to Run the World (Doubleday, 2024, non traduit), qui retrace les liens surprenants entre divers systèmes autoritaires dans le monde. Il s'avère que la théocratie iranienne a des liens avec le régime vénézuélien, qui soutient la Russie et s'inspire de la Hongrie de Viktor Orbán, qui bénéficie à son tour du soutien de la Russie et de la Chine dans son travail subversif de sape de l'Union européenne.   

Ce livre ouvre les yeux et montre l'ampleur des menaces qui pèsent sur la démocratie dans le monde.


Une phrase qui m'inspire

«Il vaut la peine d'être optimiste, car les pessimistes sont ennuyeux, ils ont toujours raison.»

Un exemple d'humour noir d’Adam Michnik, le rédacteur en chef de mon journal, Gazeta Wyborcza.


A propos de Kometa

Née du choc du retour de la guerre sur le continent européen, Kometa raconte le monde partout où il bascule, de l’intérieur, à travers les regards de celles et ceux qui le vivent. La revue fête sa première année et grandit grâce à vous, en passant de 4 à 6 numéros par an en 2025.

En vous abonnant, vous soutenez des autrices et des auteurs en résistance et un journalisme indépendant de qualité. Retrouvez tous les deux mois dans une belle revue papier des grands récits littéraires, des photos d’auteurs et des débats d'idées, et suivez-nous chaque semaine dans notre newsletter et chaque jour sur nos réseaux. Merci d'être à nos côtés!

L'agenda

9 novembre

Salon du livre de l’ESJ Lille

L’ESJ Lille présente le Journalivre, son 1er salon du livre journalisme et média. Haydée Sabéran, rédactrice en chef adjointe de notre revue, participera à la table ronde «Quand le journalisme prend le temps...» avec Marion Pillas, cofondatrice et rédactrice en chef de la Déferlante et Elsa Fayner, rédactrice en chef de la Revue XXI.

Recommandez Kometa
à vos amis

Partager sur les réseaux sociaux

Suivez chaque semaine
le développement de Kometa

Logo kometa de couleur noire

8 rue Saint Marc, 75002 Paris

icon facebook icon linkedin icon twitter icon instagram

Vous souhaitez nous contacter, contact@kometarevue.com.

©Copyright 2023 Kometa

Se désinscrire