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Bonjour, c'est Karim Kattan.

Dans cette newsletter, je vous parle des États-Unis depuis Paris. Cet été, j'étais censé rentrer à Bethléem, en Palestine, d'où je viens, mais je me suis retrouvé bloqué ici à cause de la situation volatile au Moyen-Orient. En attendant de savoir si je vais voyager, et me sentant un peu comme en suspension, je regarde beaucoup Star Trek…


Aussi au sommaire de cette newsletter:

Imaginez. Vous entrez dans la vie des écrivains en lisant leur courrier. C’est ce que propose Kometa dans chaque numéro de sa revue papier. En partenariat avec les Correspondances de Manosque (25-29 septembre), rencontrez Hélène Gaudy et György Dragomán.

Si vous avez raté nos séries d'été, elles sont à retrouver ici. Si vous êtes à Paris ce soir, retrouvez-nous pour boire un verre !


Karim Kattan vous écrit...

Chaque semaine dans cette newsletter, Kometa donne la parole à ses auteurs et photographes. Aujourd'hui, l'écrivain palestinien Karim Kattan vous partage une actualité marquante, une citation inspirante et un livre à emporter.

«Star Trek» pour penser les États-Unis ?

Before Freedom (2022-23) | © Adam Rouhana

Dans le texte que j'ai écrit pour le nouveau numéro de Kometa, je repense à un voyage de jeunesse aux USA: à l’heure où Gaza est écrasée, je réfléchis à la façon dont les États-Unis se projettent en «Amérique», un idéal d'eux-mêmes.Pour vous inviter à le lire, je vous raconte ici une très courte histoire, inspirée de mes soirées télés du moment. 

Dans la série de science-fiction Star Trek, les Américains se rêvent sous leur meilleur jour: la Fédération des Planètes Unies incarne le progrès et la coopération interstellaire. Pourtant, cette utopie cache des périphéries obscures où l'idéal affronte ses contradictions, notamment dans Deep Space Nine (1993-1999).

Troisième série de l'univers Star Trek, DS9 s'intéresse aux conséquences de la longue et brutale occupation de la planète Bajor et de ses habitants par les Cardassiens de Cardassia Prime. Les Bajorans sont un peuple très religieux. Lors de l'occupation, des groupes ont commis contre leurs occupants des actes que certains considèrent comme terroristes (mais DS9 s'interroge : qui dicte ce qui est terroriste, pour qui, et selon quels termes?). 

La série se déroule dans la station spatiale éponyme, après le retrait des Cardassiens. En post-occupation, les différentes factions sont forcées de se rencontrer, de négocier, parfois de pardonner. DS9 explore les complexités de la résistance, de la collaboration, de la réconciliation, ainsi que les dilemmes de la reconstruction et du néocolonialisme.

Que reste-t-il après la colonisation ? 

On reste dans la télé des années 1990: la série succombe à son propre optimisme et estime souvent que le dialogue est la solution. Mais chaque épisode met tout de même en scène des labyrinthes moraux et politiques ; se demande ce qu'est la paix, ce qu'est la justice; s’interroge aussi: que reste-t-il après la colonisation, chez les colonisés, chez les colonisateurs, chez les observateurs? 

La série passe autant de temps à se demander si les Bajorans peuvent être considérés comme des terroristes ou des résistants, ou un mélange des deux, qu’à poser l’autre question: qu’advient-il à l’âme d’un peuple qui a occupé, massacré, exploité, un autre peuple?

Au nom de l’ordre et de la sécurité

Les Cardassiens, dirigeants politiques et diplomates manipulateurs charmants habiles et sinistres, persuadés de leur supériorité et de leur bon droit, justifient leurs actions au nom de l’ordre et de leur sécurité. Qui seraient les équivalents des Cardassiens dans la vraie vie? C'est une société complexe et variée et on ne peut pas répondre simplement. Même, chercher des équivalences exactes entre la réalité et DS9 serait un contresens…

Il n'empêche: dans le grand récit de Star Trek c’est la Fédération des Planètes Unies qui est censée incarner l’Amérique. Tant et si bien que ses vaisseaux — des siècles dans le futur — se nomment USS (United States Ship). Pourtant, DS9 a une intuition différente, qui confine à l’horreur. On l'aperçoit dans les couloirs de la station spatiale, où se retrouvent nez-à-nez les gagnants et les perdants, les rebuts et les ambassadeurs, les brigands et les résistants, elle se murmure et se crie dans des face-à-face parfois déchirants: peut-être que les États-Unis ne sont pas la Fédération, mais plutôt Cardassia Prime.

Loin, là-bas, dans l’espace le plus profond, dans les entrailles métalliques d'un poste de commandement de l’occupation, construit par des esclaves et reconverti en station spatiale diplomatique, Star Trek se demande ultimement si les États-Unis ne sont pas parfois les méchants, plutôt que les héros, des histoires des autres.


Le chiffre qui m'a marqué

Le nerf de la guerre, c'est l'argent. Le Département d'État a récemment annoncé que les États-Unis vont envoyer 3,5 milliards de dollars supplémentaires à Israël pour l'achat d'armes et d'équipements militaires américains, alors que la guerre meurtrière à Gaza entre dans son onzième mois et que l'armée israélienne est accusée de nombreuses exactions dans les territoires palestiniens occupés.

Ces fonds proviennent d'une enveloppe de 14,5 milliards de dollars pour Israël, approuvée par le Congrès en avril. Ce montant s'ajoute aux plus de 3 milliards de dollars d'aide militaire annuelle que les États-Unis accordent déjà à Israël.

Sacré pactole pour des massacres.


L'info que j'ai retenue pour vous

Ismail Al-Ghoul était un journaliste qui travaillait pour la chaîne Al-Jazeera. Là-bas, sa voix était connue de tous. Elle s'est malheureusement éteinte début août après une frappe visée israélienne.

Capture d'écran de l'article de +972 magazine écrit par le journaliste gazaoui Mohammed R. Mhawish | © +972mag

Cet article m’intéresse pour deux raisons. Premièrement, il met en avant le travail exceptionnel du média +972 où journalistes palestiniens et israéliens proposent les enquêtes de terrain et les analyses les plus fines et courageuses de la situation. En plus d'avoir mené certaines des enquêtes majeures (par exemple celle sur l'utilisation de l'IA par Israël pour les assassinats de masse à Gaza ou encore celle sur les intimidations, chantages et attaques répétés contre la Cour pénale internationale), ils publient des journalistes de Gaza — les seuls autorisés, aujourd'hui, à dire ce qui se passe dans la bande assiégée et bombardée sans relâche. 

Deuxièmement, cet article  rappelle que ces mêmes journalistes sont ciblés et assassinés impunément à Gaza. Selon le Comité de protection des journalistes, au 30 août, au moins 116 journalistes et professionnels des médias ont été tués depuis le début de la guerre. C'est la période la plus meurtrière depuis que le CPJ a commencé à recueillir des données en 1992. Chacun de ces journalistes a une histoire, une carrière, une famille. Chacun est une révélation, une documentation de l'horreur, un témoignage, rayé de la carte.


Ma raison d’espérer

Dur d'être Palestinien et de trouver des raisons d'espérer, surtout en rapport avec les États-Unis. Mais en voici une : les étudiants sur les campus étasuniens qui font leur rentrée n'hésiteront pas à poursuivre leurs courageuses manifestations.


Une phrase qui m'inspire

La citation que je choisis ici, concerne un petit bout d'info, qu'on aurait pu déjà oublier et qu'on considérerait à peine comme une info. En novembre 2023, Anne Boyer, écrivaine et poétesse, a quitté son poste de rédactrice de la section poésie du New York Times Magazine pour protester contre la manière dont le journal couvre la guerre à Gaza.

Voilà ce qu'elle écrit:

« Le monde, l'avenir, nos cœurs — tout devient plus petit et plus dur à cause de cette guerre. Ce n'est pas seulement une guerre de missiles et d'invasions terrestres. C'est une guerre continue contre le peuple palestinien, un peuple qui résiste depuis des décennies à l'occupation, aux déplacements forcés, à la privation, à la surveillance, au siège, à l'emprisonnement et à la torture. (...) Je ne peux plus écrire sur la poésie au milieu des discours « raisonnables » de ceux qui cherchent à nous habituer à cette souffrance déraisonnable. Assez d'euphémismes macabres. Assez de ces enfers que l'on aseptise par les mots. Assez de ces mensonges bellicistes. Si cette démission laisse un vide dans l'actualité de la taille de la poésie, alors c'est là la véritable forme du présent. — »

Novembre 2023 semble lointain — les chiffres, horrifiants déjà à l'époque, ne sont plus qu'une goutte d'eau désormais. Mais le geste d'Anne Boyer était fort et discret, important et anodin, difficile et évident, exemplaire et pourtant rare. À l'image, si l'on veut, de la poésie. Il y a eu une avalanche de démissions et de censures et d'interdictions ; tellement qu'on ne les compte plus, qu'on les oublie. Celui-ci m'a marqué et je suis heureux de le rappeler.


Je recommande...

L'impasse de Bab Essaha, de Sahar Khalifa. Un magnifique et complexe huis clos de femmes en pleine Intifada.

L'impasse de Bab Essaha de Sahar Khalifa, 2015 | © Éditions Elyzad

Sahar Khalifa, L'impasse de Bab Essaha. Traduit de l’arabe par Youssef Seddik et Mohamed Maouhoub. Éd. Elyzad, 248 p., 9.90 €


Karim Kattan dans Kometa n°4

Double-page du récit de Karim Kattan, à lire dans «Qui aime encore les États-Unis ?» 4e numéro Kometa | © Kometa / photographie de Adam Rouhana

L'écrivain revient sur son «road trip» de jeunesse aux États-Unis et sur sa fascination-répulsion pour l’Amérique à l’heure de l’écrasement de Gaza. Un récit à lire dans le 4e numéro Kometa, disponible en librairie, en Relay ou par abonnement sur kometarevue.com.


Du même auteur

  • Les bonnes feuilles du dernier roman de Karim Kattan L'Éden à l'aube, (Elyzad, 2024) sont à découvrir sur notre site

La semaine prochaine, l'écrivaine et grand reporter Delphine Minoui vous écrira depuis les rives du Bosphore. Bouteilles de Zam-Zam, Billie Jean, Nike de contrefaçon… autant d'objets symboliques mobilisés dans son exploration du rapport crise-passion qu'entretiennent l'Iran et les États-Unis.


Nos Correspondances à Manosque

Deux écrivains se sont écrits sans s’être encore jamais rencontrés: la française Hélène Gaudy et le hongrois György Dragomán. Kometa vous partage un extrait de cette correspondance, à lire dans Kometa n°4.

« J'attendais votre lettre depuis des jours »

A priori, Hélène Gaudy et György Dragomán n'avaient pas grand-chose en commun. Elle écrit en français des récits très proches du réel (Archipels, éditions de l'Olivier). Il écrit en hongrois des romans et des nouvelles qui flirtent avec le merveilleux (Chœur des lions, Gallimard). Elle habite la banlieue de Paris, lui celle de Budapest. Elle a toujours vécu sous la Ve République, il a grandi en Hongrie communiste.

Mais pour construire des ponts entre une partie et une autre de l'Europe, Kometa est allé chercher ce qui pouvait réunir ces deux écrivains dans une correspondance, publiée dans notre nouveau numéro. Des liens inattendus qu'ils évoqueront sur la scène des Correspondances de Manosque, le 28 septembre à 15h. Jusqu'à cette date, cette newsletter vous en propose un extrait chaque semaine. Quelques jours après avoir reçu une lettre d'Hélène Gaudy, György Dragomán répond.

Budaörs, le 7 juin

Chère Hélène,

Merci beaucoup pour votre lettre. Je vous écris de Budaörs, un ancien village souabe aujourd’hui rattaché à Buda, où je me suis installé il y a quinze ans. Comme vous, j’ai un chat noir, il dort, roulé en boule, sur le canapé à côté de moi. Peut-être que les rêves de nos chats vont se rencontrer.

Le temps étant compté, votre lettre est arrivée par Internet et, bien sûr, ma réponse vous parviendra aussi par Internet, mais je préfère imaginer qu’elle est arrivée sur du vrai papier, dans une vraie enveloppe, je l’attendais depuis des jours, je n’arrêtais pas de faire des allers-retours jusqu’à la boîte à lettres et de l’ouvrir, même si je savais qu’elle serait vide. 

Et puis, tout à coup, elle était là. Dans une élégante enveloppe, ornée du tampon de la poste et de timbres représentant des oiseaux ou des personnages célèbres. Je ne l’ai pas ouverte tout de suite, j’ai d’abord observé le papier de l’enveloppe, essayé de déchiffrer la date inscrite sur le tampon. 

Lorsque j’avais 10 ans, alors que je vivais encore en Roumanie, en Transylvanie, dans la ville de Marosvásárhely (de son nom roumain Târgu Mureș), j’ai attendu longtemps une lettre de France. Pendant des jours, des semaines, j’ai joué à guetter son arrivée dans la boîte à lettres.

(...)

Cette correspondance est à lire en intégralité dans le 4e numéro de Kometa et sur notre site pour nos abonnés. La semaine prochaine, découvrez la réponse de Hélène Gaudy.


A propos de Kometa

Née du choc du retour de la guerre sur le continent européen, Kometa raconte le monde partout où il bascule, de l’intérieur, à travers les regards de celles et ceux qui le vivent. La revue fête sa première année et grandit grâce à vous, en passant de 4 à 6 numéros par an en 2025.

En vous abonnant, vous soutenez des autrices et des auteurs en résistance et un journalisme indépendant de qualité. Retrouvez tous les deux mois dans une belle revue papier des grands récits littéraires, des photos d’auteurs et des débats d'idées, et suivez-nous chaque semaine dans notre newsletter et chaque jour sur nos réseaux. Merci d'être à nos côtés!

L'agenda

Aujourd'hui à 19h

Kometa à ICI librairie, Paris

L'équipe de Kometa présente le numéro à la librairie ICI, 25 boulevard Poissonnière (Paris IIe)


28 septembre, 15h

Hélène Gaudy et György Dragomán à Manosque

Entre Paris et Budapest, les deux écrivains ont échangé des lettres pour le nouveau numéro de Kometa. Ils se rencontrent pour la première fois aux Correspondances de Manosque, au cours d'un dialogue animé par Pierre Benetti.


29 septembre

Rencontre Kometa au Festival America

Le dimanche 29 septembre à 15h15, Kometa modère la rencontre "Ukraine, cette guerre qui est aussi la notre" avec Andreï Kourkhov et Florence Aubenas au Festival America. Un événement animé par notre rédactrice en chef Léna Mauger.

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