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Hier, à Paris, s’est ouvert pendant dix jours le festival Un week-end à l’Est. Une édition consacrée cette année à l’Arménie et à Erevan, avec une programmation riche et variée croisant cinéma, musique, littérature et débats. Organisée en collaboration avec Kometa, une rencontre animée par Léna Mauger, rédactrice en chef de la revue, réunira l’écrivaine et journaliste Sophie Fontanel et le designer graphique Vahram Muratyan le vendredi 22 novembre

Tout au long de cet événement, vous pourrez vous procurer le hors-série de Kometa sur l’Arménie.

Programme complet du festival sur Un Week-end à l’Est.


Bonjour, je m’appelle Taline Oundjian

Je suis née à Paris en 1996, et j’ai grandi en nageant la brasse coulée dans la Méditerranée. J’ai troqué le maillot de bain contre des chaussures de rando, foulant depuis trois ans les montagnes arméniennes. Je danse, je filme et j’écris, ce qui, à peu de détails près, est la même chose. Mon travail de journaliste a imprimé la guerre dans le viseur de ma caméra. D’abord en 2022, en Ukraine, puis la même année avec la courte et brutale offensive azerbaïdjanaise en Arménie. En septembre 2023 j’ai couvert le nettoyage ethnique de mon peuple, face à l’exode forcé des Arménien·ne·s du Haut-Karabagh. Les tensions entre ce que je filme et nos mémoires effacées créent une matière à partir de laquelle j’écris mon premier roman. Je m’intéresse aux mouvements que les allers-retours de ma famille entre l’Arménie et la France tracent comme rayures sur le vinyle abîmé de nos transmissions. 

Dans cette newsletter, je vous parle de ces trajectoires familiales.


Mon article dans le hors-série Arménie

À gauche, mes arriére-grands-parents Hmayak et Serpuhi, en 1947. À droite, ma grand-mère Hasmik et au second plan ma mère, Nathalie, dans les années 1980. / ©Taline Oundjian

Mon texte pour Kometa explore entre autres un passage méconnu de l’Histoire arménienne : le grand rapatriement de 1947, en Arménie soviétique. 

Autour de cent mille Arménien·ne·s de la diaspora mordent à l’hameçon de la propagande de Staline, tout victorieux à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. sept mille d’entre eux quittent la France, dont ma famille. Ils restent coincés pendant vingt ans en URSS. À cause de son refus de renoncer à sa citoyenneté française, mon arrière-grand-père est envoyé au Goulag jusqu’à la mort de Staline. 

Cosette soviétique

De 1922 à 2021, un siècle d’allers-retours entre l’Arménie et la France ont forgé une Histoire mal transmise entre les quatre générations de femmes de ma famille et leur rapport conflictuel avec le mythe «Arménie». Cette histoire est un combustible inévitable dans ma vie, ayant grandi sous les contes de Cosette soviétique de ma grand-mère, les silences et les craintes de la génération de ma mère, et la présence sourde du spectre de mon arrière-grand-mère, Serpuhi, que je n’ai jamais connue. Serpuhi a survécu au génocide de 1915 dans l’Empire ottoman, à la Seconde Guerre mondiale à Paris, puis au stalinisme en Arménie soviétique. 

Résistance et créativité

Mon grand récit dans Kometa reprend le squelette de mon manuscrit en cours, né d’un besoin de raconter ce parcours. Je ressens à la fois un devoir de loyauté envers nos ancêtres, mais aussi une nécessité de me plonger dans ce terreau, de le sentir et de m’en envelopper. Ainsi j’apprends comment échapper au risque d’une étroitesse narrative de nos récits. Depuis que je vis en Arménie, je comprends que nos histoires recèlent de bien plus de stratégies de résistance et de créativité que le son tragique des duduks et nos larmes inévitables ne veulent nous faire croire.


L’info que j’ai retenue pour vous

Sur le mont Hatis, la sculpture monumentale d’un homme émerge. Il a l’air blasé, presque malade dans son blanc spectral. Un Jésus géant s’érige en Arménie, le plus haut du monde, à des années-lumière de l’iconographie locale. Au vu des menaces existentielles qui étouffent le pays, ce grand Jésus est grotesque. Dans l’imaginaire délirant du businessman derrière ce projet, est-il supposé nous apporter une réponse? Il n’en apporte certainement pas à l’écosystème bafoué, ni aux traces archéologiques foulées, et n’a par ailleurs aucun intérêt spirituel (l’Arménie compte déjà plus de quatre milles lieux de culte, elle a de quoi faire).


La date que j’ai retenue pour vous

Le 22 mai 1956, Christian Pineau, ministre des Affaires étrangères, entreprend une visite diplomatique dans le Caucase. Il décide de passer par l’Arménie. La veille à la radio, les Arménien·ne·s de France «captif·ve·s» à Erevan apprennent sa venue. Sur le tarmac de l’aéroport, ils et elles entonnent par dizaines la Marseillaise et se ruent sur le ministre, fourrant des lettres dans les poches, expliquant leur histoire. Le retour vers la France commencera des années plus tard et s’étendra jusqu’à la perestroïka. 


Une raison d’espérer

L’existence d’espaces où nous discutons entre Arménien·ne·s et Azerbaïdjanais·es. Loin d’un scénario feel good du type «la paix est possible», ces lieux montrent surtout que le dialogue existe déjà, quoi qu’on en dise. Pas entre les États, non, d’eux, je n’attends plus rien. Mais entre Caucasien·ne·s, nous apprenons, en partageant nos expériences respectives, nos analyses. Nous déconstruisons les mystifications nationalistes qui alimentent nos identités respectives, nous nous écoutons. Et nous rions, beaucoup.
Autre bonne nouvelle – pour de mauvaises raisons – l’avenir du vin est en Arménie ! Une experte viticole française explique qu’avec le changement climatique, le monde devrait imiter les techniques de fabrication ancestrales du vin arménien. Vieux de plusieurs millénaires, dans un environnement si aride, il perdure. Peut-être qu’après un verre, on aura plus de raisons d’espérer. 


Un livre à offrir

Non, boire ne nous aidera (presque) pas… Penser et comprendre l’histoire, oui. Je recommande la plupart des livres de l’historien Ronald Suny, mais plus particulièrement Looking toward Ararat: Armenia in modern history (1993, non traduit). Ce livre m’a aidé à comprendre l’Arménie, simplement, pour ce qu’elle est. Loin des mystifications qui empêchent de voir avec lucidité les enjeux contemporains liés à la diaspora, la guerre et les impérialismes auxquels le pays a été assujetti.


Le film que je recommande

Vodka Lemon. Dans la neige d’un village kurde perdu en Arménie, le réalisateur Hiner Saleem nous offre une heure et demie d’humour absurde et de chaleur malgré l’empreinte mélancolique de l’ère postsoviétique dans l’Arménie rurale. C’est le premier film que j’ai vu en lien avec l’Arménie où ni le génocide, ni la guerre n’était au centre. Pour la première fois j’ai vu que des personnages arméniens pouvaient avoir des histoires banales et touchantes. J’ai vu que nous aussi, nous avions droit à des récits hors du temps.


Un lieu à découvrir en Arménie

FemLibrary, la seule librairie féministe du pays aux murs couverts d’ouvrages anticapitalistes et anarchistes. Elle se cache dans un appartement au neuvième étage d’un immeuble brejnévien du centre d’Erevan, sans panneau, sans indice. Un refuge unique pour les femmes et personnes LGBT+ en Arménie pour dialoguer, penser, créer et lire.

Un lieu arménien à découvrir en France

Chez les cousines à Marseille pour profiter de ce que l’on sait faire de mieux : la bouffe.


Une phrase qui m’inspire

Quand on travaille à partir d’un terreau aussi empreint de catastrophes que l’Arménie, nous avons une responsabilité qu’Ursula K. Le Guin résume parfaitement dans son essai Le Staline dans l’âme (publié dans le recueil Le Langage de la nuit, 1979) où elle dénonce les représentations gratuites de la violence faites par nombre d’auteurs : 

«Lorsque l'art ne montre que le comment et le quoi, il s'agit d'un divertissement trivial, qu’il soit optimiste ou désespérant. Lorsqu'il pose la question du pourquoi, l’art s’élève d’une simple réponse émotionnelle à une déclaration. Il devient non pas une réflexion passive, mais un acte.» 

Ursula K. Le Guin


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Née du choc du retour de la guerre sur le continent européen, Kometa raconte le monde partout où il bascule, de l’intérieur, à travers les regards de celles et ceux qui le vivent. La revue fête sa première année et grandit grâce à vous, en passant de 4 à 6 numéros par an en 2025.

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