Cette email est un email de kometa
Logo kometa de couleur noire

Bonjour, je m’appelle Yevgenia Belorusets, je suis écrivaine, Ukrainienne, et j’ai 43 ans.

En 2022, dans mon livre Il est 15h30 et nous sommes toujours vivants, j'ai raconté les premiers moments de la guerre à Kyiv, jour après jour. A cette époque, la France accueillait nos réfugiés. Mais dans trois jours, elle risque de se tourner vers un parti pro-russe...

Je n'ai jamais vécu dans votre pays, mais je sais ce que ça peut faire au mien.


«Vous n'allez peut-être pas aimer ce que je vais vous dire»

Préparatifs du mariage d'un soldat, Ukraine, 30 avril 2022 | © Vlada et Kostiantyn Liberov

Dans mon appartement à Kyiv, l’électricité coupe très souvent. Et quand je lis les nouvelles, elles ne concernent que l’Ukraine. Autant vous dire que quand on enterre en continu des gens tués par des missiles ou des soldats morts au front, personne ne s’inquiète vraiment des élections, qu’elles soient européennes ou françaises.

Parmi mes amis, les plus idéalistes ont l’espoir que l'Union européenne «s'occupera» de l'Ukraine, qu'elle ne laissera pas la violence de la guerre se transformer en autoritarisme, qu'elle aidera à préserver la liberté d'expression dans le pays. A chaque fois que j'entends ces espoirs, je souffre, car le pays tout entier est tourné vers sa propre survie, et une guerre aussi impitoyable laisse peu de place aux discussions et à l'expression de la liberté d'opinion. Mais si les Ukrainiens se mettent à penser à la possibilité d'une Union européenne d'extrême droite, notre idéal d’une société plus progressiste disparaîtra.

Mais quand même, je dois dire que je me sens triste et déçue. Je comprends que le retour de la guerre et les différentes crises que vit l’Europe puissent pousser les électeurs vers des populistes, surtout de droite. Mais pour que ces stratégies réussissent, il n’y a pas besoin de crises, ni de guerres. Il suffit d’influencer habilement les complexes d'infériorité de chaque pays, et alors l’électeur est entre vos mains. C’est exactement ainsi que Poutine a réussi à séduire ses propres électeurs: avec un programme nationaliste et impérialiste.

Quant aux électeurs européens, ils semblent avoir oublié que les politiques populistes de droite ne cherchent pas à sortir de la crise. Elles creusent les fractures dans le tissu social et, en fin de compte, conduisent à la guerre. Si les électeurs veulent la paix, il est temps de se rappeler que le populisme de droite est en soi une guerre.

Ce que je vois de loin, c’est la fusion des positions des partis d'extrême droite et des partis pro-russes. Vous n'allez peut-être pas aimer ce que je vais dire... mais il me semble que pour la droite européenne, la sympathie pour la Russie n'est pas une question de principe. Il s'agit plutôt d'une réponse populiste aux craintes des électeurs européens devant une grande guerre.

Les pays qui ont essayé de résoudre diplomatiquement le conflit, notamment la France et l'Allemagne, n'ont pas pu empêcher l'invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022. Jusqu’à présent, aucune stratégie claire de résolution du conflit n'a été proposée. Chaque jour qui passe, de nouvelles vies sont perdues, la vie et le droit à la vie en lui-même sont menacés. Il y a une énorme inertie politique, qui consiste à trouver un «juste milieu» et conduit à ne pas s'impliquer dans la guerre, tout en évitant de jeter l'Ukraine dans les mains de l’agresseur. En conséquence, la guerre se poursuit et devient de plus en plus impitoyable pour les habitants de l’Ukraine. La communauté politique européenne espère sûrement que cette guerre se terminera d'elle-même. C'est comme regarder un feu en espérant qu’il finira par s'éteindre tout seul. En France ou ailleurs, les populistes de droite en profitent.

En Ukraine, la vie a changé en un jour, le 24 février 2022 [lire notre série d’entretiens]. Il est difficile d'imaginer à quelle vitesse un pays prospère peut devenir une zone sinistrée, avec quelle rapidité des gens perdent leurs droits fondamentaux dans une situation de guerre. Souhaitons alors que les électeurs français se souviennent que la politique existe encore? que la réalité vienne frapper à leur porte? Espérons que les Européens réalisent qu'ils ne bénéficient plus d'une sécurité durable et garantie? que des personnes à qui ils confient leur vote dépend non seulement la vie des habitants de mon pays, mais aussi la possibilité d’une paix juste sur notre continent?

L’Ukraine mène actuellement une guerre défensive, où des gens de droite et de gauche se retrouvent dans les mêmes bataillons, voire dans les mêmes tranchées. Les symboles et les partis communistes sont interdits, et il n’y a plus d’homme politique se revendiquant ouvertement à gauche: malheureusement, les opinions «de gauche» sont interprétées comme pro-soviétiques. Dans toute cette situation très complexe, les élections en Europe et en France sont interprétées presque exclusivement sous l’angle du soutien à l'Ukraine. Un jour, notre pays perdra ses illusions sur l’Europe. Mais pour cela il faut du temps, et la paix.

Yevgenia Belorusets, Il est 15h30 et nous sommes toujours vivants – Journal de guerre. Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni avec la collaboration de Françoise Mancip-Renaudie, Christian Bourgois Editeur, 150 p., 18€


Le regard de Kometa

Leningrad, île Krestovski, années 1930 | © Yakov Henkin

C’est un moment suspendu, l’insouciance d’enfants qui jouent dans les rues de Leningrad. Nous sommes à l'été 1930. Une toute jeune fille s’élance vers le ciel. Rien ne dit la violence du stalinisme déjà en cours, ni celle qui va advenir en Europe et dans le monde entier. Yakov Henkin capture ce profil penché au-dessus des arbres, des taches de soleil et les imprimés des jupes se mélangent en contre-bas. Et l'on se dit que la magie de la photographie est ici en évidence. Le temps s’arrête le temps d’un jeu, la vie sourit en robe blanche et le spectateur en oublie la catastrophe à venir.

Comme son frère Evgeny à Berlin, Yakov Henkin, né en Russie, faisait de la photo amateur à Leningrad. Entre les deux guerres mondiales, ils capturent les transformations brutales et douloureuses des deux pays, confrontés à la montée du nazisme et du stalinisme. Les totalitarismes finiront par leur coûter la vie. Mais avant cela, les deux frères auront montré avec autant de sensibilité que de spontanéité de nombreux beaux moments de la vie quotidienne, éloignés des événements qui se déroulaient ou qui allaient se produire dans les deux villes. «Ces images ont aujourd'hui une étrange pertinence alors que, sans connaître l’avenir, beaucoup d’entre nous ont le sentiment que l'Europe traverse une période de transformation capitale et souvent difficile», nous disent les descendants de la famille, Olga Walter et Denis Maslov. La fondation qu'ils ont créée a abouti à la publication des images dans un livre, Les Frères Henkin (éditions Noir sur Blanc, 2019). De son côté, le documentariste Alexeï Pivovarov en a tiré un film, disponible ici.

Kometa a publié les photographies des frères Henkin dans son 2e numéro, à retrouver aussi en ligne.


Un livre face au présent

Face à la montée de l’extrême droite en France et en Europe, les auteurs et amis libraires de Kometa conseillent sur nos réseaux sociaux des lectures pour prendre du recul et penser le présent. Léo Fourrier, de la librairie L’écume des pages, vous recommande Le Tournant de l'écrivain allemand Klaus Mann.

Longtemps resté dans l’ombre du Magicien son père Thomas Mann, Klaus Mann (1906-1949) n’en est pas moins l’un des auteurs les plus éclairés et éclairants sur la montée du fascisme en Europe. Son œuvre autobiographique, Le Tournant, est l'un des témoignages les plus poignants jamais paru à ce sujet. 

En près de 700 pages rédigées dans un style virtuose, il relate l’évolution d’un dandy cosmopolite allemand des Années folles, que rien ne prédisposait à devenir le fer de lance de la lutte antifasciste. En douze chapitres, cet esthète se fait le témoin lucide de la haine prônée par les nazis, ne transigeant ni sur les grandes trahisons des politiciens, ni sur les petites compromissions de ses amis artistes, voire «intellectuels».

Courageux fondateur d'une revue antfasciste à laquelle participèrent notamment Einstein, Brecht, Trotsky, Pasternak, Roth ou encore Hemingway, Klaus Mann sut fédérer celles et ceux qui ne cédèrent jamais face à l’indifférence (voire à la complaisance) de la majorité d'alors. Un texte passionnant, nécessaire, et plus actuel que jamais.

Klaus Mann, Le Tournant. Histoire d'une vie. Traduit de l’allemand par Nicolas Roche. Actes Sud «Babel», 2008, 704 p., 13,20€


A propos de Kometa

Née du choc du retour de la guerre sur le continent européen, Kometa raconte le monde partout où il bascule, de l’intérieur, à travers les regards de celles et ceux qui le vivent. La revue fête sa première année et grandit grâce à vous, en passant de 4 à 6 numéros par an en 2025.

En vous abonnant, vous soutenez soutenez des autrices et des auteurs en résistance et un journalisme indépendant de qualité. Retrouvez tous les deux mois dans une belle revue papier des grands récits littéraires, des photos d’auteurs et des débats d'idées, et suivez-nous chaque semaine dans notre newsletter et chaque jour sur nos réseaux. Merci d'être à nos côtés !

L'agenda

Dès maintenant

Kometa en ligne

L'intégralité de notre 3e numéro «Fabriquer l'oubli», est désormais accessible sur notre site. Abonnez-vous pour le découvrir


Tout l'été

Expo Photo à Ici Librairie

Nouveaux regards, angles inattendus... cet été, la photo de Kometa s'expose au 25 bd Poissonnière (Paris IIe), où vous pouvez trouver aussi le 3e numéro

Recommandez Kometa
à vos amis

Partager sur les réseaux sociaux

Suivez chaque semaine
le développement de Kometa

Logo kometa de couleur noire

8 rue Saint Marc, 75002 Paris

icon facebook icon linkedin icon twitter icon instagram

Vous souhaitez nous contacter, contact@kometarevue.com.

©Copyright 2023 Kometa

Se désinscrire