Bonjour, c'est Kometa. Nous sommes inquiets. Le père de notre auteur Sacha Filipenko a été kidnappé hier au Bélarus. Nous venions de recevoir son texte (prémonitoire?) pour le numéro 2 de Kometa, où il parlait des arrestations arbitraires dans son pays.
Sept hommes en armes ont fait irruption chez ses parents et les ont jetés à terre. En emmenant le père, ils ont lâché à la mère: «Dis merci à ton fils». Lequel est exilé en Suisse. Il a participé aux manifestations contre le régime Lukachenko en 2020 et s'est exprimé à plusieurs reprises en faveur des prisonniers politiques bélarusses.
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Dans un texte que nous publierons dans le numéro 2 de Kometa (prévu fin janvier), l’écrivain Sacha Filipenko écrit ceci :
«La douleur ne lâche pas Minsk. Qui arrête-t-on? N’importe qui ! Telle est la logique des répressions : zéro logique, tout le monde doit avoir peur. Pendant que vous admirez la perspective de l’Indépendance et le siège de l’Académie des sciences, les arrestations peuvent se produire n’importe où: dans l’Académie-même, dans le cinéma Octobre juste en face, dans l’Académie des Beaux-Arts derrière votre dos… Pendant que vous vous délectez de l’architecture soviétique, soyez vigilants! Si un minibus Volkswagen aux vitres teintées s’arrête près de vous, c’est qu’ils vont arrêter quelqu’un (vous peut-être). Regardez bien derrière vous et fuyez à toutes jambes.»
Comme un texte prémonitoire, ce qu’il a écrit il y a quelques jours vient de se réaliser.
Ce jeudi midi, Sacha Filipenko nous apprend que son père a été kidnappé ce matin par sept hommes armés à son domicile à Minsk, au Bélarus. Sacha Filipenko, exilé en Suisse, est une des plumes de Kometa. Et c’est une des missions de notre revue: publier des auteurs en exil ou menacés dans leur pays.
L’écrivain nous dit, par mail: «Ce matin, sept personnes armés de mitrailleuses ont fait effraction chez mes parents. Mes parents ont été jetés à terre. Il a 62 ans, elle 60. Les hommes armés ont passé les menottes à mon père, comme à un vulgaire criminel. Ils ont fouillé l’appartement, tout retourné, pris les ordinateurs, les téléphones. Mon père a été emmené. Je n’ai aucune idée d’où il se trouve. En partant, ils ont dit à ma mère: «Tu peux remercier ton fils!».
Tout ceci a eu lieu sans cadre légal. Un «kidnapping», résume Sacha Filipenko, qui parle aussi de «prise d’otage». L’auteur bélarusse ajoute qu’il est «important» de faire savoir ce qui s’est passé. «On ne peut pas kidnapper les gens. On ne peut pas kidnapper les parents des écrivains et des journalistes pour les obliger à se taire. Il est évident qu'ils font pression sur moi pour que j'arrête de parler dans la presse européenne. Pour que vous, par exemple, ne publiiez pas mon article.»
Sacha Filipenko, né en 1984 à Minsk est un des romanciers bélarusses les plus connus. Il a dû fuir à l’étranger en 2020 au moment des manifestations lors de la réélection frauduleuse du président Loukachenko, au pouvoir depuis 1994. Le plus grand média du pays avait à l’époque publié un article intitulé «Ces Bélarusses connus qui manifestent», avec une énorme photo de lui. Le lendemain, une vague d’arrestations s’était abattue sur toutes les personnalités citées dans l’article. «J’ai à peine eu le temps de quitter le territoire, le matin même», raconte l’écrivain. Sacha avait longtemps travaillé en Russie pour la chaîne de télévision indépendante Dojd désormais interdite. Son père, Aliaksandr Filipenko, est ingénieur à la retraite.
Un fils perdu (éditions Noir sur Blanc, avril 2022, traduit du russe par Philie Arnoux et Paul Lequesne). Un adolescent pris dans un mouvement de foule à Minsk tombe dans le coma. Les jours passent, il ne se réveille pas. Sa petite amie sort avec un de ses amis, sa mère a refait sa vie avec son médecin. Seule sa grand-mère vient le voir tous les jours. Quand enfin il se réveille, dix ans plus tard, le pays n'a pas changé. Le président dictateur est toujours au pouvoir, les jeunes quittent en masse le Bélarus et la police réprime toute contestation. Le jeune homme trouvera-t-il sa place dans ce pays figé?
Kremulator (éditions Noir sur Blanc, à paraître en janvier 2024, traduit du russe par Marina Skalova). Le directeur du crématorium de Moscou a incinéré les victimes des Grandes Purges staliniennes: opposants, espions présumés, anciens héros de la révolution. Il est lui-même arrêté en 1941. Au fil des interrogatoires, il doit répondre de sa vie tumultueuse. Entre le prisonnier et son interrogateur commence un jeu du chat et de la souris, brouillant les cartes entre le bourreau et la victime, la justice et le mensonge, le bien et le mal.
La traque (éditions des Syrtes, janvier 2020, traduit du russe par Raphaëlle Pache). Un journaliste qui enquête sur un homme politique. Pour se débarrasser de ce gêneur, le notable ne reculera devant aucune intimidation, puis devant aucun crime.
Croix Rouges (éditions des Syrtes, mars 2018, traduit du russe par Anne-Marie Tatsis-Botton). Une dame âgée raconte sa vie, une «biographie de la peur», à un jeune homme arrivé récemment dans son immeuble. «Je veux vous raconter comment la terreur qui saisit brusquement un être humain peut changer toute sa vie.»
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Du 22 au 27 novembre
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